Sevriena, Guillaume et Nicolas Sarkozy, la suite

Thierry Brun  • 27 octobre 2010
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Sevriena, Guillaume et Nicolas Sarkozy, la suite

Que de contre-feux lancés à la suite de notre billet de blog racontant la création de la désormais célèbre Sevriena, filiale commune de Malakoff Médéric et de CNP Assurances. Malakoff Médéric, groupe dirigé Guillaume Sarkozy, n’est pas le dernier à distiller de fausses pistes et à tenter de semer le doute sur nos informations. Il est donc temps de livrer quelques autres vérités à propos de Malakoff Médéric, de CNP Assurances et de Sevriena.

Quelques jours après la publication de notre billet intitulé : « Sevriena, l’entreprise sarkozyste de démolition des retraites », Malakoff Médéric a publié un communiqué (le 21 octobre), complaisamment repris par certains médias, « en réponse à la diffusion d’un certain nombre d’assertions infondées » . La formule est trop vague pour être crédible et la suite du communiqué ne fait que confirmer nos informations.

Ainsi, nous expliquions dans ce billet qu’une nouvelle société d’assurance, spécialisée dans l’épargne retraite, Sevriena , a été discrètement propulsée sur les fonts baptismaux par le groupe Malakoff Médéric et le groupe CNP Assurances pendant les mois de juin et de juillet. C’est-à-dire en même temps qu’était discuté le projet de loi sur les retraites, au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Nous disions aussi qu’à cette période plusieurs amendements ont été déposés avec le même objectif : adopter des mesures développant… l’épargne retraite (lire notre article de septembre et celui paru jeudi 28 octobre)

L’aboutissement du projet Sevriena en même temps que le lancement du débat parlementaire sur le projet de réforme des retraites, qui plus est augmenté de nouveaux articles sur l’épargne retraite, nous a fait dire que le sauvetage du système de retraite par répartition, tant de fois affirmé par Nicolas Sarkozy, n’était pas la seule préoccupation du moment. Banques et assureurs privés, on n’imagine pas que les créateurs de Sevriena soient restés les bras ballants, tout comme la Fédération française des sociétés d’assurance. Tous sont en effet montés au créneau pour défendre l’idée de franchir une nouvelle étape dans la retraite par capitalisation.

Rentabiliser l’activité d’épargne retraite

Nous avons aussi indiqué qu’un document estampillé confidentiel, daté de 2009, en ligne sur notre blog, détaillait de prometteuses perspectives pour Sevriena , tablant sur une baisse de 8 % des pensions de retraite et indiquant qu’un « complément d’épargne annuel de 40 milliards d’euros à 110 milliards d’euros en 2020 serait nécessaire pour maintenir le niveau de vie des futurs retraités » . Les projections de chiffre d’affaires de Sevriena à l’horizon 2020 sont impressionnantes : pas moins de 5,5 milliards de CA dans un scénario dont il est intéressant de lire le détail : « il est prévu une montée en charge progressive des activités créées par la joint venture [ Sevriena ] avec un démarrage du développement des activités nouvelles deux ans après la création de la joint venture. Dans le scénario A9, l’objectif est d’équiper en France dans 10 ans : 3,3 % des entreprises ; 2,2 % des actifs ; 0,9% des retraités. Après 2020, le plan de développement est basé sur un développement moins soutenu de l’activité créée par la joint venture pour converger vers un taux de croissance de l’ordre de 7% conforme à l’hypothèse de taux de croissance du marché » .

Pour compléter ce bref panorama financier, le document confidentiel indique qu’en « 20 ans, le résultat net de la joint venture [ Sevriena ] progresse de 12 millions d’euros à 307 millions d’euros » . Que de bénéfices en perspective ! Le document que nous nous sommes procuré indique aussi : « L’estimation de la valeur de la joint venture [ Sevriena ] dans 10 ans (634 millions d’euros) et dans 20 ans (1,14 milliards d’euros) indique le potentiel de création de valeur du projet. Par ailleurs, le plan de développement de la joint venture réalisé dans l’hypothèse d’un développement plus important du marché de l’épargne retraite (scénario B) montre que la valeur de la joint venture dans ce scénario serait de 1,557 milliards d’euros dans 20 ans » .

A la lecture de ce dossier confidentiel, nous avons ajouté que Sevriena , qui deviendra donc un mastodonte de l’épargne retraite, dont le président du conseil de surveillance devrait être Guillaume Sarkozy (il n’a jusqu’à présent pas démenti), ne peut qu’être conforté par la réforme sur les retraites. Notamment parce que les dernières pages de la loi Woerth contiennent des mesures destinées à booster l’épargne retraite et donc la retraite par capitalisation, au détriment de l’actuelle retraite par répartition.

« Plusieurs amendements de députés de la majorité – Xavier Bertrand, Arnaud Robinet, Yanick Paternotte entre autres -visent à pousser le développement des produits d’épargne créés par la loi Fillon en 2003. Il s’agit de produits individuels comme le PERP (plan d’épargne retraite populaire) ou d’entreprise comme le Perco (plan d’épargne retraite collectif). En juillet, la majorité avait déjà introduit des mesures importantes visant les Perco. Après l’entrée en vigueur de la loi, la moitié de la participation versée par les entreprises à leurs salariés sera automatiquement versée sur les Perco, sauf si le salarié s’y oppose » , pouvait-on lire dans Les Echos du 15 septembre 2010.

Depuis, rien n’a changé dans le texte de loi. D’autres dispositions ont été ajoutées, notamment le fait que le salarié « peut, dans la limite de cinq jours par an, verser les sommes correspondant à des jours de repos non pris sur le plan d’épargne pour la retraite collectif ou faire contribuer ces sommes au financement de prestations de retraite qui revêtent un caractère collectif et obligatoire » (article 32 bis). N’oublions pas que les sommes épargnées bénéficient d’une exonération fiscale, de manière à encourager l’épargne retraite. S’agit-il vraiment de sauver la retraite par répartition ?

L’écran de fumée de Malakoff Médéric

Pour écarter cette troublante analyse, Malakoff Médéric, dont, rappelons-le, Guillaume Sarkozy est délégué général, « réaffirme avec la plus grande fermeté » son attachement et son implication « en faveur de la retraite complémentaire par répartition » . Le groupe parle de ses « missions d’intérêt général » et Guillaume Sarkozy souligne que son groupe est paritaire et mutualiste, « à but non lucratif » . C’est-à-dire sans actions, dividendes, stock options, insiste lourdement Malakoff Médéric, qui se dit « gouverné par des administrateurs issus tant des 5 grandes confédérations syndicales de salariés que des organisations patronales » . Dont acte.

Nous n’avons jamais dit le contraire. Ce que nous avons mis en évidence plus haut nous fait dire qu’il est cependant surprenant que le groupe de Guillaume Sarkozy s’abrite derrière ce paravent mutualiste alors que dans le même temps il lance avec CNP Assurances Sevriena , une société de statut privé, spécialisée dans l’épargne retraite, avec des actionnaires et le frère de Nicolas Sarkozy, déjà annoncé comme président du conseil de surveillance . Cette société d’assurance est richement dotée, suffisamment pour concurrencer les banques et assureurs privés sur le terrain de l’épargne retraite. CNP Assurances a injecté 72 millions d’euros dans le capital de l’entreprise. Et, « outre ses portefeuilles d’épargne retraite collective, le groupe apportera à la société commune son réseau de distribution en propre, CNP Trésor. Ce qui représente au total un actif net apporté de 283 millions d’euros » , indique le compte rendu de l’assemblée générale mixte des actionnaires de CNP Assurances daté du 29 juillet 2010. De plus, la participation de CNP dans Fongépar, société d’épargne salariale, fait également partie de la corbeille de mariage.

Le groupe de Guillaume Sarkozy omet de préciser qu’il a créé Sevriena avec un poids lourd de l’assurance de personnes et de l’épargne retraite, CNP Assurances, un groupe de statut privé (c’est une SA), coté en Bourse (Euronext Paris), dont les actionnaires principaux sont la Caisse des dépôts (40 %) et la holding Sopassure, (Banque postale et BPCE, 35,48 %) . Si l’on examine de près le conseil d’administration de CNP Assurances, on y découvre François Pérol, président du directoire de BPCE (Banque populaire Caisses d’épargne), ex secrétaire général adjoint de l’Elysée, et de Nicolas Sarkozy ; Henri Proglio, PDG d’EDF, qui doit sa place à… Nicolas Sarkozy . CNP Assurances est aussi un groupe international qui, le 15 janvier 2009 a annoncé dans un communiqué avoir payé un montant de 145 millions d’euros l’acquisition de 50,1 % de Marfin Insurance Holdings qui détient 100 % de Laiki Cyprialife (assurance vie à Chypre), Laiki Insurance (assurance dommages à Chypre), Marfin Life (assurance vie en Grèce) et Marfin Brokers (courtier assurance dommages en Grèce).

Malakoff Médéric est certes un groupe mutualiste, paritaire, mais pas sa filiale Sevriena . L’écran de fumée lancé par le groupe de Guillaume Sarkozy ne suffira pas à masquer le fait que cette filiale va en fait devenir un groupe privé majeur dans le secteur de l’épargne retraite.

Un heureux hasard a fait que parallèlement à la création de Sevriena , l’Elysée poussait à l’adoption du projet de loi réformant les retraites, dont le texte définitif contient les « mesures relatives à l’épargne retraite ». On vit une époque formidable.

Temps de lecture : 8 minutes
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