Cuba : une transition pour aller où ?

Lentement mais sûrement, Raul Castro réforme le système, notamment sur le plan économique. Alors qu’un congrès du parti est annoncé pour avril, certains craignent une ouverture au libéralisme le plus sauvage.

Françoise Escarpit  • 18 novembre 2010 abonné·es
Cuba : une transition pour aller où ?
© Photo : AFP/STR

Dans la tradition kitsch la plus pure, le premier ­mariage gay cubain a eu lieu il y a deux semaines, dans la ville de Matanzas. C’était l’une des ­réformes annoncées et espérées dans un pays qui a encore en mémoire les années noires de la persécution des homosexuels. Mais, au-delà de cet événement, une série de mesures de réorganisation interne et l’annonce de la suppression de 500 000 ­postes de travailleurs de l’État, considérés ­comme inutiles ou improductifs, a secoué la torpeur de l’île. Ces licenciements massifs seront toutefois accompagnés d’offres d’emploi dans des secteurs déficitaires et de l’autorisation de s’installer à son ­compte, individuellement ou dans le cadre de petites entre­prises familiales et de coopératives expérimentées dans certaines professions.

En avril dernier, le chef de l’État cubain, Raul Castro, avait déclaré devant le congrès des Jeunes Communistes qu’il existait plus d’un million de ­personnes ne servant à rien dans les administrations et que cela mettait en danger « le système politique de l’île et la survie de la Révolution » . Il avait alors parlé « d’actualisation du ­modèle économique » , de réduction des ­dépenses publiques et de la fin des subventions. La liste des professions autorisées (toutes dans le secteur des services) ressemble à un inventaire à la Prévert. On pourra donner des cours privés, tondre des moutons, être dandy ou podologue, réparer presque tout mais pas les carrosseries, être artisan ou danseur… selon une liste de 178 professions dûment et ­bu­reau­cratiquement détaillées.

Dès ­lundi dernier, le Journal officiel a publié le cadre législatif de ces nouvelles orientations. Pour certains, la ­mesure entérine une situation de fait, mais elle permettra de réduire le marché noir et fera entrer des impôts dans les caisses de l’État. D’autres, favorables à une ouver­ture plus franche, pensent qu’elle est insuffisante car elle ne résout pas la question de la ­relance de la production. D’autres, enfin, insistent sur le risque d’ouvrir la ­boîte de Pandore du libéralisme le plus sauvage, même si l’objectif affiché est de redonner une valeur au travail.

En juillet 2006, lorsque Fidel Castro avait ­passé la main à son frère Raul pour cause de maladie, il avait aussi distribué les rôles entre sept personnes chargées des grands secteurs de la vie cubaine. En février 2008, Raul Castro, offi­ciel­lement élu chef de l’État, a commencé à mettre de l’ordre dans la maison. Avec un appareil gouvernemental totalement neuf, il a resserré son équipe autour d’hommes issus du ministère des Armées et du Grupo empresarial (GAE, groupe ­entre­prises), qui collecte l’ensemble des ­devises entrant dans le pays. Depuis une vingtaine d’années, les ­militaires cubains se sont reconvertis dans l’administration d’entreprises et ont fait preuve d’une certaine efficacité dans le tourisme, la production agricole et certains secteurs industriels.

Les Cubains, qui pendant cinquante ans ont eu à la tête du pays un ­homme qui leur parlait – beaucoup –, ont du mal à se faire à la manière de gouverner de Raul Castro, avare en informations, n’aimant guère les grands discours et soucieux d’efficacité. En juillet, lors de la fête nationale (qui célèbre l’assaut à la caserne Moncada en 1953), il les a surpris, ­voire choqués, en ne prenant pas la ­parole à la tribune. Le discours du ­26 juillet était traditionnellement celui où le chef de l’État dressait un bilan de l’année écoulée. Sans doute faut-il voir là encore la volonté de redonner une place aux institutions gouvernementales et à cette date sa dimension historique.

La libération, en juillet dernier, de la plupart des personnes arrêtées en 2003 (13 sont encore en prison, refusant de quitter le pays) doit être considérée comme un signe, sinon d’ouverture, du moins d’apaisement. C’est le cardinal Jaime Ortega qui avait pris l’initiative d’écrire au chef de l’État pour lui faire part de ses inquiétudes face aux « actos de repudio » (manifestations contre les dissidents et leur famille) et lui proposer le dialogue « réclamé par la société ­cubaine » . « Nous avons une situation nouvelle à Cuba , affirme ­Orlando Marquez, porte-parole de l’Église. Un début de dialogue, un début de réformes pour faire face à une crise sociale et politique. Nous avons un nouveau Président porteur d’un nouveau message. L’Église veut parier sur le dialogue. Elle est ­prête à aller au-delà de son rôle pastoral, face à la société. La nouvelle organisation sociale va poser des questions. Comment vont s’organiser les nouveaux travailleurs ? » Mais, selon Orlando Marquez, l’Église ­cubaine n’a pas d’objectif politique. Elle considère qu’il y a « un droit à donner son opinion  », mais que ce serait « une erreur » de penser que ­l’Église doive « remplir le vide politique » . ­L’Église ­catho­lique semble convaincue que Cuba doit trouver son propre chemin, « dans le consensus, avec toute la variété de ses couleurs » . « Et ne pas chercher des solutions dehors. »

« Dehors » , de l’autre côté du canal de Floride, les échanges culturels et universitaires ont considérablement augmenté des deux côtés, et la réunion sur les accords migratoires a, pour la première fois, eu lieu à Washington. La récente nomination de Daniel P. Erikson, spécialiste de Cuba, au cabinet d’Arturo Valenzuela, secrétaire d’État adjoint pour les Affaires de l’hémisphère occidental, est vue avec satisfaction dans l’île.

La grande inconnue reste l’attitude de Barack Obama après les élections intermédiaires de novembre. Après avoir levé les restrictions sur les ­voyages des Cubano-Américains et sur l’envoi d’argent vers Cuba, il a ­laissé échapper qu’il se passait des ­choses « positives » à Cuba, ­formule jamais entendue dans la bouche d’un président des États-Unis. Quant à l’Europe, elle ne semble pas pressée de modifier la « position commune » adoptée en 1996. Quoi qu’il en soit, Cuba est maintenant entrée dans une période de transition. Mais pour aller où ? Un congrès du parti est annoncé pour le mois d’avril prochain. L’occasion, peut-être, pour les dirigeants de préciser leurs objectifs.

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