L’asile en France, c’est fou

Le philosophe Yves Cusset propose un « Manuel d’engagement politique » clownesque autant que cauchemardesque.

Gilles Costaz  • 18 novembre 2010 abonné·es

Bien des philosophes sont des clowns qui n’ont pas voulu l’être. Yves Cusset l’est volontairement. Il a beau hanter les colloques des sommités du concept, diriger un festival en Bourgogne (La Philo en folie, à Saint-Vallier), publier des essais costauds et enseigner la pensée et l’impensé, il n’en joue pas moins des spectacles de son cru qui jonglent avec les notions et font exploser les mots comme les cancres allument des pétards. Il nous avait fort réjouis l’an dernier avec son solo Rien ne sert d’exister .

Cet automne, il avance davantage ses pions dans le camp de l’idéologie avec son Manuel d’engagement politique à l’usage des animaux doués de raison et autres hominidés un peu moins doués.Comment entrer en politique ? Le héros, qui n’est pas son double mais plutôt son négatif, se met en quête d’idées et en chasse de solutions. Candide dans le discours et la pratique, le jeune homme se débat dans un drôle de pays, le nôtre : « Je suis né en France de parents français, comme tout le monde. Pourtant, à mon arrivée au monde, je n’avais aucun titre de séjour, comme n’importe qui. En tout cas, pas plus de titre qu’un autre à commencer ses jours. »

On lui conseille de créer un spectacle engagé, ce qui ne le mène pas loin. Il tente de mieux comprendre la différence entre la gauche et la droite, constitue un groupe de Sages (Solitaires anonymes de la gauche endormie et silencieuse) mais, écœuré, penche vers une dérive droitière. Dans un avion, il prend cependant parti pour un Noir que l’État va jeter de l’autre côté de la mer (aventure vécue par Yves Cusset lui-même dans un airbus d’Air France). Aussitôt, il est interné chez les fous. Et la France, célèbre terre d’asile, s’avère « un des meilleurs asiles du monde  », comme le personnage le découvre jour après jour dans une existence passée de l’ubuesque au kafkaïen.

La mise en scène de Fanny Fajner table sur le blanchissement symbolique et parodique du personnage, et sur le contraste entre ses propos et la diffusion d’images d’hommes politiques, de pubs qui nous envahissent et de chants des chœurs de l’Armée rouge. C’est drôle mais flottant, jusqu’à ce que l’idée France égale Asile prenne toute sa puissance cauchemardesque. Le bon comédien-clown qu’est Cusset finit son show en grand pamphlétaire. S’il parvient à muscler davantage le début, on l’applaudira encore davantage.

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