Lidl, la grande braderie du droit social

Le leader du hard discount a résisté à la crise et affiche une belle santé en France. On ne peut pas en dire autant de ses employés, toujours soumis à des abus, pressions et intimidations.

Noëlle Guillon  • 9 décembre 2010 abonné·es
Lidl, la grande braderie du droit social

« Nous nous respectons et nous nous faisons progresser mutuellement. » Derrière cette incantation aux allures de commandement biblique se cache la « charte collaborateurs » placardée dans les salles de pause de tous les Lidl de France. Censée éclairer l’engagement social pris par Lidl face à ses employés en réponse à une histoire émaillée de tensions, elle n’en révèle que mieux les manquements. Dernier soulèvement en date, celui de la CFDT qui a réuni tous ses délégués syndicaux devant le siège national strasbourgeois de l’entreprise le 16 novembre. Aux sources de la colère, une nouvelle organisation du travail fragilisant les plus précaires des collaborateurs, les caissières à temps partiel. « La direction vient d’instaurer une pause obligatoire et non rémunérée pouvant aller de 30 mn à 2 h 30 dès que le travail atteint 6 h par jour. Résultat, certaines restent en salle de pause et fournissent du travail gratuit en coup de main aux collègues. D’autres rentrent chez elles, ce qui augmente leurs frais de transport. Une demi-journée de travail se transforme ainsi en journée complète, sans augmentation de revenus, avec perte de la possibilité d’occuper un emploi complémentaire et souvent une surcharge financière en frais de garde d’enfants » , dénonce Mokhtar Naghchband, délégué syndical CFDT à Entzheim. « Ce que veulent ces femmes, c’est garder des pauses rémunérées et non obtenir des coupures non payées » , complète son collègue, Christophe Pierre.


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Car c’est bien sur la confusion entre pause et coupure, sournoise, que joue l’entreprise. « Tout a commencé quand nous avons porté plainte aux prud’hommes sur le non-respect par l’accord-entreprise du code du travail et de la convention collective concernant les temps de pause » , raconte Karim Kodga, syndiqué Unsa. « Le code du travail prévoit au moins 20 mn de pause pour 6 h de travail, et la convention collective va jusqu’à indiquer le paiement de ces temps de pause. Mais l’accord-entreprise, dérogatoire, n’en donnait que 7 minutes, ce qui n’était d’ailleurs presque jamais appliqué. » Qu’à cela ne tienne, l’entreprise voit donc large. Davantage de pauses, certes, mais moins d’argent. Et ce n’est là que le dernier remous d’un véritable arsenal d’exploitation des employés par la société. L’entreprise allemande, implantée en France depuis une vingtaine d’années et première dans son secteur discount, est connue outre-Rhin comme sur l’Hexagone pour des pratiques abusives, surcharge de travail, pressions et intimidations. « Il y a beaucoup de dénigrement de la personne » , déplore Fatiha Hiraki, chef-magasin à Clichy.

« Certains chefs-magasin, sous la pression de la direction, peuvent exiger des femmes de mettre en place cinq palettes de fruits et légumes tous les matins entre 7 h et 9 h. Cela représente plus d’une tonne de marchandise. À cela s’ajoute bien entendu la caisse, qui doit se tenir debout, et le ménage. » Conséquence, beaucoup d’accidents du travail. « Nous avons plus de 250 inaptes par an, avec des taux pouvant être 24 fois supérieurs à ceux d’autres sociétés » , constate Karim Kodga. Et parfois la pression devient insoutenable. Une dizaine de femmes du magasin de La Villette, à Paris, ont demandé début novembre une enquête du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour harcèlement de leur chef-magasin. Elles parlent de « la peur de venir travailler » . « Je n’ai plus le courage, elle me terrorise, me maltraite devant les clients. J’en ai mal au ventre et je pleure beaucoup. Et je suis enceinte. J’ai peur pour mon bébé » , écrit l’une d’entre elles dans une attestation de plainte. La pression peut aller jusqu’au retrait des primes de présence pour cinq minutes de retard, alors que « les heures supplémentaires ne sont jamais notées » , selon une chef-caissière. Dans les entrepôts, la situation n’est pas meilleure. Les manutentionnaires de Sautron, près de Nantes, ont manifesté le 5 novembre pour dénoncer « une charge de travail non applicable ». « On nous demande de porter de 12 à 14 tonnes chacun tous les jours. Et s’il y a invalidité, il ne faut pas espérer de reclassement. Notre travail et les accidents sont contrôlés par vidéosurveillance, avec 65 caméras pour 16 000 m2 » , dénonce Jérôme Fouchet, syndicaliste CGT.

Le mode de fonctionnement de l’entreprise : faire le plus avec le moins de personnel possible, au mépris de la réglementation sur les heures supplémentaires. « On nous demande de débiter de la palette. Depuis deux ans, Lidl s’est ouvert aux grandes marques en plus des produits discount. Plus de revenus pour l’entreprise. Pour les responsables de magasin, plus d’heures non rémunérées. Jusqu’à 50 ou 52 heures par semaine, avec des affichages promotionnels à faire le samedi soir » , témoigne Régine Miquet-­Grivet, chef-magasin à Molsheim. Et la stratégie a été payante, puisque Lidl se porte comme un charme après la crise. L’enseigne a ouvert sept magasins en France ces trois dernières semaines, près de 70 durant l’année. Et lancé un ambitieux plan de rénovation de 900 de ses 1 450 points de vente français pour 200 millions d’euros. Le journal allemand Manager Magazin a classé début octobre Dieter Schwarz, fondateur de Lidl, quatrième fortune d’Allemagne avec 10,5 milliards d’euros, derrière trois membres de la famille Albrecht, détentrice d’Aldi, une autre chaîne du hard discount. Au même moment, cinq employés d’un Lidl de Belgique étaient licenciés pour faute grave. Ils avaient emporté chez eux des pizzas destinées à la poubelle, sur la proposition de leur responsable.

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