Affaires sensibles : quinze ans d’entraves

Politis  • 6 janvier 2011 abonné·es

Gouvernement Juppé
_ Algérie Moines de Tibéhirine

Après l’assassinat en 1996 de sept moines français, aucune enquête poussée n’est entreprise. « C’est une affaire qui a été enterrée volontairement », déclare Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste et ancien député UMP. Le garde des Sceaux de l’époque, Jacques Toubon (photo), lui aurait assuré qu’il n’était « pas question d’ouvrir une information judiciaire ». Une enquête débutera finalement en 2004, huit ans plus tard.

Gouvernement Raffarin
_ Congo Affaire des disparus du Beach

De passage à Paris, le chef de la police congolaise, Jean-François N’Dengue, est arrêté sur commission rogatoire le 1er avril 2004, mis en examen et placé en détention pour crimes contre l’humanité. Il est suspecté d’avoir participé à la disparition de 350 Congolais pendant la guerre civile de 1999. Cette affaire fait l’objet d’une plainte déposée par des ONG contre plusieurs hauts dignitaires congolais et de mandats d’arrêt délivrés par la Cour internationale de justice. Mais le parquet fait appel de la décision. Un greffier et trois magistrats se réunissent en catimini dans la nuit du 2 au 3 avril pour juger l’appel à… 2 heures du matin. Le chef de la police est libéré. Une requête en nullité est ensuite tentée. L’affaire montera jusqu’en Cour de cassation. Pendant ce temps, les présumés responsables des disparitions sont jugés à Brazzaville… et acquittés.

Gouvernement Villepin
_ Rwanda Opération Turquoise

En 2004, des familles de victimes du génocide rwandais déposent plainte contre des militaires français pour complicité de crimes contre l’humanité dans le cadre de l’opération Turquoise (1994). Le parquet refuse l’ouverture d’une information judiciaire. Le Quai d’Orsay et le ministre de la Défense tentent de dissuader une juge d’instruction de se rendre sur place en novembre 2005. Les plaintes sont finalement jugées recevables, mais le parquet fait appel. Appel qui sera rejeté en juillet 2006.

Antilles
_ Affaire du chlordécone

Le chlordécone est ce pesticide massivement utilisé sur les plantations de bananes en Guadeloupe et en Martinique, y compris après son interdiction en 1993. En février 2006, plusieurs plaintes sont déposées par des associations antillaises. Le parquet conteste leur recevabilité jusqu’en Cour de cassation. En septembre 2009, la cour d’appel de Paris rejette la saisie d’un juge d’instruction martiniquais mais confirme la poursuite de l’enquête menée depuis la capitale.

Djibouti
_ Affaire Borrel

En 2006, dix ans après l’assassinat du juge Borrel à Djibouti, une juge d’instruction demande la délivrance de mandats d’arrêt contre deux des meurtriers présumés, dont l’ADN a été retrouvé sur les vêtements du défunt. Une initiative prématurée, répond le parquet. La thèse criminelle sera enfin reconnue par le parquet un an et demi plus tard.

Les vols clandestins de la CIA

Fin 2005, la Ligue des droits de l’homme dépose une plainte après l’atterrissage, à Brest et au Bourget, d’avions transportant des personnes détenues illégalement par la CIA. En août 2006, le parquet classe l’affaire sans suite.

Gouvernement Fillon
_ Côte d’Ivoire Affaire Trafigura

Un cargo affrété par la société Trafigura, fondée par deux traders français et installée dans des paradis fiscaux (Suisse et Bahamas), décharge des déchets dangereux dans le port d’Abidjan en août 2006. Les déchets sont ensuite abandonnés à proximité d’habitations. Seize morts et des milliers d’intoxiqués. Une plainte est déposée à Paris pour « administration de substances nuisibles, homicide involontaire, corruption active ». En avril 2008, la plainte est classée sans suite par le parquet. En juillet 2010, la société Trafigura est condamnée à verser une amende d’un million d’euros… par un tribunal hollandais. Et c’est à Londres que se conclut un accord pour indemniser les 31 000 victimes.

Affaire des « biens mal acquis »

Une plainte visant plusieurs dirigeants africains pour détournement de fonds est déposée en mars 2007 par les associations Sherpa et Survie. Une enquête préliminaire est diligentée qui révèle l’ampleur des détournements, mais l’affaire est classée. Plusieurs autres plaintes sont déposées. À chaque fois le parquet plaide l’irrecevabilité.

Paris Affaire des faux électeurs du Ve

Deux juges d’instruction renvoient Jean et Xavière Tibéri devant le tribunal correctionnel. Cela faisait deux ans que les juges attendaient les réquisitions du parquet… Ils attendent toujours.

Paris Affaire François Pérol

Le secrétaire général de l’Élysée est nommé à la tête
de la Banque populaire et de la Caisse d’épargne début 2009. Une enquête pour prise illégale d’intérêt est lancée. Classée sans suite par le parquet.

Publié dans le dossier
L'art d'enterrer les affaires
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