Günter Wallraff repasse une couche

Habitué
des infiltrations,
le journaliste,
sous les traits d’un Noir, dénonce le racisme ordinaire en Allemagne.

Jean-Claude Renard  • 20 janvier 2011 abonné·es
Günter Wallraff repasse une couche
Noir sur blanc, mardi 25 janvier, 20 h 40, Arte (1 h 22). Photo : © X Verleih AG

Le monsieur se demande pourquoi on ne le laisse pas entrer dans cette discothèque. Au seuil de la porte, un type le jauge, lui explique : « Tu vois les Alpes ? Derrière, ça descend jusqu’à la Méditerranée. Et après, c’est l’Afrique ! » Et alors ? « L’Afrique est aux singes, l’Europe est aux Blancs ! » Le propos a le mérite d’être clair. Retour dans un studio feutré. Tout en choisissant sa perruque, se laissant minutieusement teindre le visage et les mains en noir par une maquilleuse, Günter Wallraff s’interroge : « Je vais peut-être avoir une bonne surprise. Ce serait bien si au final une enquête montrait que les Allemands sont un peuple très tolérant et très hospitalier. » En attendant, estime le journaliste, passé maître depuis des lustres en enquête infiltrée, « ce sont les Noirs qui subissent le plus de discriminations » . Et s’il a choisi de se mettre dans la peau d’un Noir, sous les traits de Kwami, somalien, « c’est parce que leur situation est représentative de tous les étrangers. On peut mesurer une société à la manière dont elle traite ses étrangers » . Et de porter des lentilles noires avant d’entamer un road-movie à travers l’Allemagne.

À Wörlitz, sa présence dans une promenade en barque autour du château gêne les touristes. À Cologne, dans une bijouterie, on ne le laisse pas toucher une montre qu’il est prêt à acheter. Et, alors qu’il est en quête d’un appartement, celle qui fait visiter confie aux locataires potentiels qui succèdent à Kwami qu’il ne « cadre pas. Il est Noir. Ce n’est pas le genre de la maison. Il était très noir. Quelle horreur ! Il y a eu un Marocain, mais l’autre était tellement noir ! Et ces cheveux ? ! Ce n’est pas possible ! Il m’a appelée ce matin. Il parlait allemand parfaitement. Je ne pouvais pas savoir qu’il était aussi noir que Will Smith. On voit des Nègres dans le quartier. Je ne sais pas où ils vivent. Pas ici en tout cas ! C’est une autre culture. Ça n’a rien à voir avec du racisme. C’est juste que ça ne cadre pas. S’il cuisine avec des épices, ça sentira à tous les étages. Non, je ne peux pas ; je préfère que l’appartement reste vide » .

Autres circonstances : un groupe de randonneurs en Rhénanie se montre carrément hostile à son arrivée ; ailleurs, dans un petit bal populaire, on lui refuse un pas de danse ou de trinquer avec lui. « Parfois , commente Wallraff en voix off, quand je me balade le soir, j’oublie que je suis redevenu un Blanc. Et dès que je vois un attroupement, je fais un détour, inconsciemment. »
Quand il cherche un emplacement dans un camping, avec deux complices noires, le patron avertit : « Ça ne sera pas facile. Je vous conseille de bien réfléchir. Ce sont tous des habitués. Le problème, c’est la couleur de peau. Pour moi, l’argent n’a pas d’odeur. Mais ils vont faire fuir les clients. “Si tu acceptes des gitans, on fait nos valises”, qu’ils m’ont dit. » À Cottbus, à l’occasion d’un match de foot contre Dresde, il essuie une pluie d’insultes et de menaces. Dans un train, une rencontre avec des fachos aurait pu tourner au drame sans l’intervention de la police. Et quand il veut placer son berger allemand dans une association de dressage, l’inscription et la cotisation lui coûtent 560 euros contre 120 pour une autre cliente, blanche. Ici et là, à quelques exceptions près : haine, mépris et arrogance. Surnommé « l’ami y a bon » . Un racisme ordinaire.

Günter Wallraff a circulé un an sous les traits de Kwami, trimbalant sa chemise à fleurs, un sac jaune à la main, équipé d’une caméra cachée, accompagné d’un ou deux filmeurs, selon les lieux, qui permettent de multiplier les angles, apporter un contrechamp, le protégeant à l’occasion. La matière nécessaire pour dénoncer une Allemagne contemporaine qui se targue d’être devenue un pays métissé, ouvert et tolérant. Du côté des discriminations, du racisme, la France n’a aucune leçon à donner. Reste que le travail de Wallraff est remarquable. Lequel n’en est pas à son coup d’essai puisque le journaliste a été successivement SDF en plein hiver, précaire employé dans un centre d’appels téléphoniques, ouvrier dans une boulangerie sous-traitante de Lidl, et mué en Turc, son rôle le plus connu, il y a vingt-cinq ans, dénonçant la xénophobie de la société allemande. Une leçon de journalisme qui n’est pas celle d’infiltrés en quête de reportages plus ou moins putassiers, toujours spectaculaires.

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