La fabrique de la candidate Joly

Face à la possible entrée en lice de Nicolas Hulot, une quinzaine de cadres d’Europe Écologie-Les Verts préparent Eva Joly, leur favorite, à la primaire d’investiture écologiste pour 2012.

Patrick Piro  • 27 janvier 2011 abonné·es
La fabrique de la candidate Joly
© Photo : LOUBINOUX / AFP

Eva Joly contre Nicolas Hulot : c’est l’affiche probable de l’affrontement pour la désignation du porte-drapeau écologiste à la présidentielle de 2012, qu’une primaire au sein d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) tranchera en juin prochain. Le député Yves Cochet se dit convaincu « à 92 % » que Nicolas Hulot a pris la décision « d’y aller » . Lui-même candidat à l’investiture, il a annoncé depuis plusieurs semaines qu’il s’effacerait en sa faveur. « Les signaux se multiplient : il prend des contacts sur des sujets aussi éloignés de ses thèmes de prédilection que la défense, la sécurité ou la dépendance, il aurait l’aval de son entourage proche et des mouvements se préparent au sein de la Fondation Nicolas-Hulot. »

L’hypothèse n’a pas la préférence de l’état-major écologiste : sa favorite, c’est la députée européenne Eva Joly. Lors des Journées d’été d’EELV, Cécile Duflot a renoncé à se présenter au profit de l’ex-magistrate, « très motivée » , qui apparaît depuis comme adoubée, y compris pour les médias. Et un récent sondage LH2 révèle l’excellente opinion que les Français se font d’elle – sincérité, honnêteté, capacité à résoudre la crise économique, etc. Pourtant, et bien que la primaire soit encore lointaine, la mobilisation autour d’Eva Joly est montée d’un cran depuis quelques semaines.

Premier événement déclencheur : sa prestation télévisée lors du magazine « Mots croisés » de France 2, le 8 novembre dernier. Eva Joly évoque les 8 milliards d’euros de bénéfices de la BNP, une rentabilité proche de 50 % que l’on ne retrouve « que chez les marchands de drogue » . Vivement accusée de « populisme » par la ministre Nadine Morano, l’industriel Charles Beigbeder et l’animateur Yves Calvi, elle reste sans réaction. Elle promettra plus tard de corriger son impréparation au format ­télé­visuel des joutes politiques.

Mais, cinq jours après, le doute gagne aussi une partie des 2 000 militants écologistes rassemblés à Lyon pour célébrer la fusion d’Europe Écologie et des Verts : Eva Joly est-elle taillée pour la très exigeante compétition présidentielle ? Peut-elle sortir de son créneau de prédilection – lutte contre la corruption, justice financière, moralité politique ? On entend les mouches voler lors de son discours monocorde, contrastant avec les harangues de Dany Cohn-Bendit ou de Cécile Duflot. Ou encore l’intervention de Nicolas Hulot, applaudi à Lyon pour son retour sur la scène politique…

Autant d’alertes qui poussent une quinzaine de cadres écologistes à constituer, en décembre dernier, un petit club de soutien à la précandidate [^2] : il s’agit de former cette novice « qui apprend vite » aux codes de l’arène politique et médiatique, mais aussi de travailler au contenu de ses interventions.

La première motivation de cette entreprise de profilage est stratégique. Alors que la présidentielle ne réussit traditionnellement pas aux écologistes [^3], l’édition 2012 promet une ­prédominance de l’affrontement UMP-PS qui malmènera les autres candidatures. Grâce à son image de probité et de courage – juge d’instruction, elle n’a pas hésité à mettre en examen Bernard Tapie, Loïk Le Floch-Prigent, Roland Dumas ou Dominique Strauss-Kahn –, Eva Joly pourrait faire honorablement entendre la petite musique des écologistes. « Dans ce pays en pleine crise morale, elle incarne des valeurs en faillite qui correspondent au message écologiste » , estime le député Noël Mamère, à l’initiative de ce comité politique. « Sa candidature est la meilleure possible » , affirme l’eurodéputé Pascal Canfin. Elle est aussi l’occasion « de revisiter nos fondements avec une nouvelle approche » , appuie la sénatrice Marie-Christine Blandin.

L’idée de ses amis : décliner justice, transparence et rigueur, convictions d’Eva Joly, en pivot de son argumentaire sur les questions sociales, environnementales, économiques, démocratiques, internationales, etc.
Le positionnement est impeccablement antisarkozyste. Et les socialistes s’accommoderaient bien d’une telle candidature, susceptible de ratisser plus large en vue d’un second tour qu’une parole écologiste plus orthodoxe. Mais jusqu’où dérouler la fabrique de la candidate Eva Joly ? Patrick Farbiaz s’interroge sur le risque d’un formatage de son discours après l’incident de « Mots croisés ». « Elle semble désormais dans la retenue , regrette-t-il. C’est pourtant la Eva Joly justicière que le public attend ! Et puis elle doit apprendre à assumer des positions et à faire la synthèse des opinions divergentes de son entourage. » Yves Cochet critique pour sa part le fait que la candidate endosse des options dont le congrès d’EELV, prévu en mai, devrait avoir la prérogative. « Par exemple, la “croissance verte”, poussée par des conseillers proches d’Eva Joly, est-elle notre ligne ? » , s’interroge-t-il. Certains lui suggèrent aussi de passer plus de temps au rude contact de la politique hexagonale qu’au Parlement européen.

L’autre motivation de l’opération Eva Joly, moins avouée, c’est de contrer l’incertitude Hulot, dont la décision est attendue avant avril. « On ne va pas vitrifier la parole de l’écologie politique d’ici là », justifie Noël Mamère. « Mais, surtout, il existe un problème politique , appuie un cadre écologiste. Hulot semble discuter plus volontiers avec l’ex-ministre de l’Écologie centriste Jean-Louis Borloo qu’avec nous, et il ne dit pas clairement s’il penche à gauche. »

Ces piques agacent Jean-Paul Besset. Après avoir pris du recul avec la cuisine interne d’EELV, l’eurodéputé accompagne Nicolas Hulot dans sa réflexion : « À la surprise générale, il envisage très sérieusement sa candidature, conscient désormais qu’il faut faire de la politique pour dépasser les obstacles qui entravent la conversion écologique de la société. Mais il est clair qu’il s’engagerait à nos côtés. » Ce qui signifie accepter le jeu d’une primaire EELV. « Et il n’y aura pas l’ombre d’une ambiguïté sur son positionnement quant à la politique de Sarkozy , assure-t-il, même si son ambition est d’affirmer un projet écologiste autonome, et pas en fonction du vieux clivage gauche-droite. Je demande à ceux qui veulent le mettre au pied du mur d’attendre qu’il ait acquis toute liberté de s’exprimer, notamment au regard de sa fondation, tenue à l’apolitisme. »

Ainsi, malgré les apparences, l’hypothèse Hulot est loin de constituer un repoussoir définitif chez les pro-Joly. Les sondages révèlent en effet que la cote d’amour de l’animateur télévisuel est toujours au sommet. Certains glissent que la direction du parti ne rechignerait pas à en faire un favori de rechange si Eva Joly peinait à endosser l’armure de campagne.

Cependant, les deux constatent que leur excellente image peine à leur garantir des intentions de vote, qui stagnent actuellement entre 4 et 6 %.
« Sans importance à ce stade » , balaie Marie-Christine Blandin. Mais, à mesure que s’approchera l’heure de l’investiture, le baromètre des sondages deviendra déterminant, car il étalonne le rapport de force avec leurs alliés socialistes putatifs pour les législatives à suivre. Aussi, certains jugent plausible l’hypothèse d’un joker Duflot. Candidate moins singulière, mais politique bien plus aguerrie.

[^2]: Qui comprend Marie-Christine Blandin, Pascal Canfin, Serge Coronado, Cécile Duflot, Pascal Durand, Patrick Farbiaz, André Gattolin, Yannick Jadot, Noël Mamère, Jean-Vincent Placé, François de Rugy, Stéphane Sitbon, Laurence Vichnievsky, Dominique Voynet.

[^3]: Meilleur résultat : Noël Mamère, 5,25 % des voix en 2002.

Politique
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