Le choix d’un père

Un docu bouleversant autour du geste d’un Palestinien qui a voulu que la mort de son fils serve la cause de la paix.

Jean-Claude Renard  • 13 janvier 2011 abonné·es

Novembre 2005. C’est la fin du ramadan. La Cisjordanie est sous haute surveillance. Au camp de réfugiés de Jénine, la fête se prépare. Un môme de douze ans, Ahmed, file faire quelques courses. Sur le chemin, il joue à la guerre, avec un pistolet en plastique que les soldats de Tsahal prennent pour une kalachnikov. Un tir blesse grièvement l’enfant. Selon l’armée israélienne, son pistolet « ressemblait parfaitement à un vrai » . Cela suffit pour tirer. Touché à la tête et à la poitrine, le gamin survit à l’hôpital de Haïfa. Sans espoir. Un infirmier aux soins intensifs demande au père, Ismaïl, le don des organes d’Ahmed pour d’autres enfants israéliens entre la vie et la mort.

Affaire d’âme et de cœur. Ismaïl hésite, consulte son frère, l’imam et le chef du camp, puis accepte. « Il ne s’agit pas d’un don à des juifs mais à des êtres humains, ce n’est pas un acte politique mais humaniste » , explique le père à la presse. Contraste saisissant avec un père juif orthodoxe, radicalement anti-arabe, dont l’enfant a été sauvé grâce au rein d’Ahmed. La décision d’Ismaïl a ainsi sauvé la vie de cinq personnes. Un bébé de neuf mois n’a pas survécu à la greffe. Deux receveurs ont préféré garder l’anonymat. C’est le rapport avec les trois autres familles que Marcus Vetter et Leon Geller ont suivi.

Entre 2005 et 2008, les réalisateurs allemands ont ainsi accompagné ce père, visitant les familles, brossant en même temps son portrait, celui de son enfant abattu, né entre les deux intifadas, qui n’a jamais vraiment connu la paix, et ceux de trois enfants sauvés par la transplantation : un jeune Bédouin du Néguev, une adolescente druze du nord d’Israël, une fille de juifs orthodoxes installés à Jérusalem. Aucun pathos tremblotant. Si les documentaristes ajoutent quelques images d’archives des violences entre 2001 et 2005, leur caméra suit ses sujets dans le mouvement, alterne passé proche et présent, les témoignages à chaud et les réflexions posées (où l’on s’aperçoit que seuls les hommes ont la parole ; la présence des mères demeure toujours estompée). À côté d’un drame et d’un geste unique, ils rendent compte du quotidien, de la difficulté à passer un check-point, de l’étranglement opéré sur toute une population. Dans ce contexte, ponctue le père d’Ahmed, « mon acte a déstabilisé les Israéliens. Pour eux, ça, cela a dû être plus terrible que des attentats suicides. Cela aurait été plus simple que je commette un attentat à ce moment » .

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