Le digne combat des Molex

Jean-Claude Renard  • 20 janvier 2011 abonné·es

Un petit village de 5 000 habitants, à deux encablures de Toulouse. Villemur-sur-Tarn, le 31 décembre 2008. Barbecue de fin d’année avec des employés coiffés d’un bonnet de père Noël réveillonnant devant leur usine. En résistance. José Alcala tourne ses premières images. La lutte des 283 employés de cette ancienne filiale de la Snecma, rachetée quatre ans plus tôt à l’État français par le groupe américain Molex, a commencé depuis deux mois déjà. Depuis que la direction a annoncé la fermeture de ce site de production de câbles pour automobiles. Pourtant, l’été précédent, le site affichait un bilan de santé excellent, avec 1,2 million d’euros de bénéfices, et était récompensé d’un Award d’honneur pour ses bons résultats.

Le projet du réalisateur est né d’un combat singulier dans un contexte économique lourd et étiré dans le temps, où les médias relaient déjà les conflits des Conti et des employés de Caterpillar : à Villemur, « ils refusent la grève, poursuivent leur travail tout en luttant. Ils portent plainte contre leur direction, font confiance à la justice française pour défendre leurs droits. Surtout, ils veulent préserver leur outil de travail, conserver chez eux cette usine qui les a vus naître » . En effet, on y fabrique des câbles automobiles depuis 1941.
José Alcala s’est plongé au cœur des Molex durant toute l’année 2009. Suivant les employés, l’avocat du comité d’entreprise, les silhouettes fantomatiques de la direction entourées de gardes du corps. Il fixe les banderoles et les slogans ( « le père Molex est une ordure » ; « patron voleur »  ; « les licenciements boursiers, y en a assez » ). Les Molex, des gens debout, titre justement le documentaire.

Le réalisateur filme l’occupation du site, les votes pour la grève, le débarquement de vigiles bloquant l’accès aux usines, puis le vote contraint pour le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la sortie des camions vidant le site de sa moelle, la reprise par HIG avec le maintien de seulement 15 emplois, le licenciement sec des salariés en octobre 2009. Dans ce qui est aussi une galerie de portraits, au-delà des premiers rôles qu’ont joués Guy Pavan et Denis Parise, s’il dit le soulèvement face à l’injustice et la détermination, il cadre sobrement le désarroi, la souffrance, les humiliations successives, les stratégies d’usure du groupe américain, son chantage face à la législation française, l’inertie du gouvernement, les errances de Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, la dichotomie entre le discours de l’État et la réalité du terrain. Surtout, José Alcala apporte un regard sur la mutation en cours : des employés devenus, par la force des choses, experts en économie, saisissant les enjeux de la délocalisation, l’emprise de la Bourse, les fonds de ­pension, le jeu des actionnaires, la violence de la logique libérale.

Les Molex avaient le droit pour eux. Un droit insuffisant face au cynisme d’un groupe américain et à un État défaillant. Lutte exemplaire, fière, debout, et réprimée. Un banc-titre ponctue : « En mars 2010, Éric Woerth, ministre du Travail, donne l’autorisation au groupe Molex de licencier les délégués du personnel de l’usine de Villemur-sur-Tarn contre l’avis de l’Inspection du travail. À l’heure actuelle, 45 ont été engagés par le repreneur. 221 sont encore au chômage. Les 24 septembre 2010, 188 employés déposent plainte contre Molex devant le tribunal des prud’hommes de Toulouse pour licenciement abusif. En représailles, le groupe Molex suspend le paiement du PSE et exige que les employés retirent leur plainte. En octobre 2010, Molex annonce des bénéfices records de 54 millions d’euros. »

Temps de lecture : 3 minutes