Patience, Abdul

Sébastien Fontenelle  • 27 janvier 2011 abonné·es

Dans Marianne , ce samedi (et dans l’un de ces recherchéditoriaux qui l’ont rendu fameux dans les rangs de la deuxième gauche, mais pas que), Jacques Julliard, porte-voix des masses, pose « la question que chacun se pose au spectacle de la révolution tunisienne » , et que voici : « L’islam est-il compatible avec la démocratie ? » [^2].

Jacques Julliard répond qu’ « il faut répondre assurément oui » , mais « à condition » , tout de même, « d’ajouter : oui, mais un islam laïc ou quasi laïc ! » . (Un islam qui aurait lu Michel Onfray, disons.)
Et bien sûr : Jacques Julliard sait qu’ « on » lui « rétorquera sans doute » qu’il y a dans ces mots ( « islam laïc ou quasi laïc » ) « une contradiction dans les termes » – voire, même, « une aberration » .

Mais à une telle objection (qu’il se fait à lui-même), Jacques Julliard (se) répond (à lui-même) que cette « aberration » peut, avec du temps, être surmontée – car en effet, quand on y réfléchit trois secondes, mâme Dupont : « N’en allait-il pas de même avec l’Église au Moyen Âge ? »
L’Église, vers l’an mil, n’avait-elle pas, elle aussi, de la difficulté à se montrer laïque ? (Ou ne serait-ce que quasi laïque ?)
Assurément si, mâme Dupont : elle avait.

Au Moyen Âge, se rappelle Jacques Julliard : « L’idée de chrétienté, sous l’autorité du pape, était aussi incompatible avec l’idée moderne de laïcité que l’oumma musulmane l’est actuellement. » (N’oublions pas que nous parlons d’un temps où l’abbé moyen ne lisait que peu les bouquins de Caroline Fourest, et dans lequel, de fait, la vie n’était pas tous les jours fastoche pour Toto l’agnostique.)

Jacques Julliard, brodant sur l’un des motifs traditionnels de l’islamophobie néoconservatrice, annonce donc aux mahométan(e)s d’outre-Méditerranée qu’ils sont comme nous, d’accord – mais comme on était il y a trèèès longtemps (et comme nous ne sommes plus que dans les romans de Ken Follett). Et que nous, depuis, on a quand même un peu évolué, alors qu’eux, les muslims  , pas du tout : eux, dans leur trou du cul d’Arabo-Musulmanie, sont restés figés dans le VIIe siècle, ces pauvres nigauds. Mais ce n’est bien sûr pas dit méchamment, et Jacques Julliard s’empresse d’ajouter qu’après tout : « Le catholicisme a fini par s’accommoder de cette laïcité. »

Adoncques, Abdul : pendant qu’ici nous sommes en 2011, t’es bloqué en 640, et je comprends que ça t’irrite, et il se peut même, je préfère t’en prévenir, que tu aies quelques soucis vers 732, si tu t’approches trop de Poitiers. Mais patience, Abdul : dans même pas un millénaire et demi t’auras l’EDF, puis juste après t’auras le Net, puis juste après tu entreras, comme en apothéose, dans la « démocratie occidentale » , avec toutes ses options – Berlusconi, Julliard, Sarkozy, TF 1.

De la pure balle, cousin. D’ici là, je t’en prie, garde-toi des croisés : mon livre d’histoire me dit que c’est dans pas longtemps qu’ils vont te débouler sur.

[^2]: Question que Jacques Julliard posait de même avant la révolution tunisienne, car il est d’une éditocratie où la compatibilité de l’islam et de la démocratie doit être questionnée toutes les trois semaines environ, sinon, c’est pas drôle.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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