Pourquoi Brice Hortefeux doit démissionner

Récidiviste, le ministre a été condamné pour propos racistes, puis pour non-respect de la présomption d’innocence. Il a plusieurs fois foulé au pied les grands principes républicains, comme sur les Roms. Son incompétence, à un si haut niveau de responsabilité, pose la question de sa légitimité.

Michel Soudais  • 6 janvier 2011 abonné·es
Pourquoi Brice Hortefeux doit démissionner
© Photo : SAGET / AFP

Brice Hortefeux est, en ce début d’année, l’homme le plus controversé du gouvernement. Un des rares sondages publiés durant la trêve des confiseurs le présentait comme la personnalité politique qui, à droite, « agace » le plus les Français. Agaçant, le ministre de l’Intérieur l’est quand, le 8 décembre, il nie toute « pagaille » sur les routes, pendant que des milliers d’automobilistes étaient bloqués par les chutes de neige. Il l’est encore quand, après avoir refusé de publier les chiffres de véhicules incendiés, il prétend que la nuit du réveillon s’est déroulée « sans qu’aucun incident majeur n’ait été signalé sur l’ensemble du territoire national » . Il n’a d’ailleurs pas fallu attendre longtemps pour que les syndicats de police fassent état de plusieurs délits graves commis cette nuit-là : au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), l’animateur d’une soirée privée était dimanche dans le coma après avoir été roué de coups ; à Paris, une jeune femme russe a été enlevée, violée et abandonnée ensuite dans l’Essonne, et une touriste danoise est morte, renversée par un chauffard en état d’ébriété ; à Rennes, un jeune homme a été hospitalisé dans un état critique après avoir reçu un coup de couteau à la suite d’une mauvaise rencontre dans la rue…
Mais Brice Hortefeux n’est pas seulement agaçant. Ce qualificatif apparaît en effet bien faible pour désigner un ministre de l’Intérieur qui a écopé, l’an dernier, de deux condamnations, l’une pour racisme, l’autre pour atteinte à la présomption d’innocence. Certes, ces condamnations ne sont pas définitives, puisque Brice Hortefeux a fait appel, mais les déclarations pour lesquelles ce zélé serviteur de Nicolas Sarkozy a été poursuivi sont suffisamment établies pour justifier la démission du ministre.

La première est filmée le 5 septembre 2009 lors du Campus d’été de l’UMP, à Seignosse (Landes). Lors d’une ­tournée des stands avec Jean-François Copé, le ministre de l’Intérieur prend la pose avec Amine, un jeune militant d’origine arabe. À une femme qui semble lui dire « c’est notre petit Arabe » , il répond : « Il ne correspond pas du tout au prototype » , ajoutant : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » Poursuivi par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Brice Hortefeux est condamné le 4 juin 2010 par le tribunal correctionnel de Paris à 750 euros d’amende pour injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, à 2 000 euros de dommages et intérêts à payer au Mrap, et à la publication d’un communiqué de presse, compte tenu de « l’effet délétère sur le lien social d’un tel propos, quand il est tenu par un responsable de si haut niveau » .

La seconde déclaration a été faite lors de l’émission « Le Grand Jury » (RTL-LCI-Le Figaro), le 17 octobre 2010. Interrogé sur les conditions dans lesquelles David Sénat, ex-conseiller de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Justice, avait été identifié par les services du contre-espionnage comme source possible du Monde dans l’affaire Bettencourt, Brice Hortefeux avait répondu qu’ « un haut fonctionnaire, magistrat, membre de cabinet ministériel, ayant donc accès à des documents précisément confidentiels, alimentait, selon ces sources, vérifiées, un journaliste sur des enquêtes » . « Ça tombe sous le coup du non-respect du secret professionnel » , avait ajouté le ministre. Le tribunal de Paris, saisi en référé par M. Sénat, a estimé, le 17 décembre, que ces propos étaient « attentatoires à la présomption d’innocence » du plaignant et jugé que Brice Hortefeux avait « manifesté, de manière explicite et non équivoque, une conviction tenant pour acquise la culpabilité de David Sénat » . « Il l’a exprimé dans des conditions ne pouvant laisser subsister aucun doute sur cette culpabilité dans l’esprit des auditeurs » , poursuit le jugement.

Le même jour, le tribunal de Paris, dans un autre jugement portant sur une plainte de David Sénat contre le Figaro Magazine, donnait implicitement tort au ministre de l’Intérieur, qui avait mobilisé la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) pour connaître la source d’un article du Monde qui faisait état d’une déposition embarrassante pour Éric Woerth de Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt : « Il est constant qu’un conseiller exerçant des fonctions dans un cabinet ministériel peut légitimement être appelé à fournir des informations, le cas échéant sensibles, à des journalistes, sans pour autant que puisse lui être reprochée une atteinte à un secret » , écrit le tribunal, précisant une jurisprudence ancienne.

Dans toute autre démocratie, les libertés avec la loi que s’octroie Brice Hortefeux auraient valu au ministre de l’Intérieur de perdre son poste. D’autant que le même s’est également distingué par son action contre les Roms et sa mise en cause d’une décision de justice. Dans une circulaire adressée le 5 août aux préfets, son directeur de cabinet ciblait expressément les Roms, contrevenant au droit européen, ce qui a valu à « la patrie des droits de l’homme » d’être la cible de plusieurs plaintes ou réclamations inspirées par des ONG, et d’essuyer les critiques de la Commission européenne et du pape. Le 10 décembre, en réaction à un jugement du tribunal de Bobigny qui condamnait sept policiers reconnus coupables de « dénonciation calomnieuse » , « faux en écritures » et « violence aggravée » à des peines de six mois à un an de prison ferme, Brice Hortefeux a couvert ces brebis galeuses, déclarant que ce jugement pouvait « légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné » . Ce faisant, l’ami de Nicolas Sarkozy s’est définitivement discrédité pour occuper la fonction qui est la sienne place Beauvau.

Publié dans le dossier
L'art d'enterrer les affaires
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