Olivier Besancenot : « Pour une candidature de rassemblement anticapitaliste »

Selon Olivier Besancenot, le NPA cherche à faire la synthèse entre la gauche sociale et la gauche politique. Mais il n’envisage d’alliances qu’avec des formations « clairement anticapitalistes ».

Michel Soudais  • 10 février 2011 abonné·es
Olivier Besancenot : « Pour une candidature de rassemblement anticapitaliste »
© Photo : Guillot / AFP

Politis : Depuis sa création, le NPA donne l’impression de refuser toute alliance avec les formations à la gauche du PS.

Olivier Besancenot : Ce n’est pas juste de dire ça. Pendant le mouvement des retraites, nous avons été unitaires pour mille en étant de ceux qui, avec d’autres, ont suscité la campagne unitaire dans le cadre de l’appel d’Attac et de la Fondation Copernic. Pour moi, le salut de la gauche anticapitaliste ne peut venir que d’une orientation unitaire et radicale, les deux vont de pair. Une orientation qui ne se discute pas dans des tête-à-tête entre partis politiques mais avec des secteurs de la gauche sociale qui se sont politisés, et se politisent encore. En écho à ce qui se passe en Tunisie et dans la lignée de ce qu’a produit le mouvement social sur les retraites, même s’il a perdu sur la réforme, nous voulons continuer à fédérer les forces anticapitalistes.

Nous cherchons à faire la synthèse entre la gauche sociale et la gauche politique. Il y a des secteurs de la gauche sociale qui se sont politisés depuis le mouvement de 1995. Sur le terrain des partis, une gauche radicale a fait son petit bonhomme de chemin. Chacun a eu ses heures de gloire et ses difficultés. La question est d’aller maintenant à la rencontre les uns des autres pour trouver une convergence et faire en sorte que l’aboutissement du mouvement social ne soit pas que Sarkozy puisse éventuellement remporter l’élection, que Le Pen soit si haut dans les sondages et que ce qu’on nous serve à gauche soit Dominique Strauss-Kahn.

Marine Le Pen à 18 % dans les sondages, ça vous inquiète ?

Bien sûr. D’autant que ce n’est pas propre à notre pays. Partout en Europe, l’extrême droite est aux aguets et même sortie du bois. Dès 2008, on avait dit : la crise est de même nature que celle de 1929 et, même si le contexte n’est pas identique, elle peut produire le meilleur comme le pire. Le meilleur, c’est, à l’échelle européenne et pour la première fois dans autant de pays, les éruptions sociales contre les politiques d’austérité libérales assez similaires en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne ou en France… Le pire, c’est l’extrême droite.

Face à la menace qu’elle représente, n’est-il pas temps d’envisager des alliances qui n’étaient pas envisagées auparavant ?

Tout dépend de quelles alliances. Car, à ce jeu, on sait qu’il y aura une pression très forte en faveur du « vote utile » pour le PS au premier tour, afin d’éviter un 21 Avril à l’endroit ou à l’envers. Mais, si on veut contrer le FN, il faut aussi faire émerger une gauche qui ait des réponses radicales à la crise. Et, au-delà de l’échéance électorale, s’il en sort une nouvelle mouture d’alternance sans rien à sa gauche, le FN pourra continuer son ascension…
L’analyse du cycle long dans lequel nous sommes nous enseigne qu’il y a deux grandes orientations politiques à gauche, une sociale-libérale et une anticapitaliste, dont nous ne sommes pas les seuls représentants. Comment on la fédère ? Nous ne croyons pas au tête-à-tête entre les partis politiques. Mais, sous le cadre contraignant des mobilisations sociales et des secteurs du mouvement social qui sont politisés, on pourra éventuellement réussir à rassembler.

Au-delà du constat, vieux de dix ans, de l’existence de deux orientations politiques concurrentes à gauche, on ne voit pas grand-chose avancer pour contester l’hégémonie du social-libéralisme.

Contester une hégémonie, cela se fait rarement sur un claquement de doigts. Les idées radicales et anticapitalistes qu’on était peu nombreux à défendre ont quand même fait leur chemin : aujourd’hui l’anticapitalisme ne fait plus peur ; la répartition des richesses, tout le monde en parle, comme du fait de récupérer les 10 % de richesses pris par les capitalistes à la majorité de la population, ou d’imaginer une loi d’interdiction des licenciements. Pour nous, militants révolutionnaires, la bataille pour l’hégémonie, c’est créer des majorités d’idées. Or, progressivement, sur un certain nombre de points, nos idées avancent.

À un moment, cette majorité d’idées doit pouvoir se concrétiser sur une candidature, que ce soit dans un canton, une région, une circonscription ou à la présidentielle…

D’où la proposition en débat dans nos rangs et qui sortira éventuellement de notre congrès d’une candidature de rassemblement anticapitaliste qui incarne la radicalité du mouvement social. Cela implique de discuter d’un programme et d’évoquer la question des alliances – est-ce qu’on ira ou pas dans un gouvernement socialiste ? –, et seulement à la fin se pose la question de qui. Mais si on croit un minimum à ce qu’on raconte, quand on est chef de file d’un parti politique, quel que soit ce parti, on n’est pas forcément le mieux placé pour fédérer les autres.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez rejeté la proposition de Jean-Luc Mélenchon ?

Mélenchon n’est pas un candidat de rassemblement anticapitaliste. Ce n’est pas mon adversaire, et il ne faudra pas compter sur moi pour une guéguerre médiatique où on se balancerait des vannes dans la tronche. La discussion est politique. S’il croit au rassemblement, est-ce qu’il envisage une seule seconde de ne pas être candidat et de mener campagne pour quelqu’un qui ne soit pas chef de file d’un parti politique ? Si lui s’inscrit dans la continuité des années Mitterrand, de l’union de la gauche et de la gauche plurielle, moi, ce ne sont pas les débats d’hier qui m’intéressent.

La discussion sur le programme du Front de gauche est ouverte et publique. Pourquoi ne pas y participer ?

Parce que l’unité, ce n’est pas le ralliement. On ne va pas demander au NPA de rentrer au Front de gauche, ni au Front de gauche…

Ma question porte sur le programme.

C’est la même chose. J’étais présent à la Fête de l’Humanité quand a été lancé le processus. Il est ouvert au peuple, mais dans le cadre du Front de gauche, ce que je peux comprendre. Je ne vais pas m’immiscer dans le Front de gauche. Je respecte les militants communistes, les militants du Parti de gauche, je n’aurais jamais l’idée de dire : « Rejoignez le NPA ou soutenez notre candidature, le rassemblement, c’est nous ! » Rassembler, c’est fédérer des forces qui ont une identité et une histoire particulières. La concurrence libre et non faussée est un principe libéral qu’on ne doit pas adopter pour nous dans le domaine électoral. Mais les OPA et les fusions-acquisitions, c’est pareil. On les laisse aux capitalistes.
Le rassemblement doit se faire sous la pression de ce qui existe au niveau social. Je suis conscient des limites : à la suite du mouvement des retraites, il n’y a pas une force, un rassemblement, une personne qui incarne à elle seule cette mobilisation. En même temps, on ne peut pas dire qu’il ne s’est rien passé. Dans cet entre-deux-là, il y a quelque chose à faire.

Entre vous et le Front de gauche, n’y a-t-il que la question des alliances avec le PS qui pose problème ?

Non. Si vous me demandez une différence entre Mélenchon et moi, il y a le rapport au monde politique, au système, au pouvoir et aux institutions. Lui, il vient de ce système-là, il a fréquenté les arcanes du pouvoir à plusieurs reprises ; il se dit en rupture avec ce système et, du coup, sa conclusion politique, c’est que pour changer le système, malgré tout, il faut le changer de l’intérieur. Non seulement nous sommes indépendants du système, mais nous pensons que le changement intervient de l’extérieur de ce système-là. Et que, pour changer les choses économiquement et socialement, il faut les changer aussi démocratiquement. Cela étant, chez Mélenchon, il y a parfois des discours différents. Je n’ai pas d’adversaire dans ce camp, ce sont des discussions politiques.

Au sein de votre parti, votre position est contestée. Des comités du NPA font candidature commune aux cantonales avec le Front de gauche et n’ont pas le sentiment de disparaître. Comment l’expliquez-vous ?

Tout simplement parce qu’on est une organisation démocratique. Des positions s’expriment. On a un congrès avec des discussions et un débat qu’on n’a jamais caché. Nos difficultés après les régionales renvoient à des questions existentielles, qui sont légitimes et se traduisent par des désaccords d’alliance. Mais je ne crois pas qu’au sein du NPA la candidature de Jean-Luc Mélenchon provoque de l’enthousiasme, quelles que soient les positions.

Peut-on avoir un rapport extérieur au monde politique en étant candidat à la présidentielle pour la troisième fois ?

On n’est pas spectateur. On est impliqué dans la vie politique. Mais il y a une vie politique professionnelle, et moi, ni en 2002 ni en 2007, l’élection présidentielle ne m’a ramené quelque chose dans le portefeuille. Cette activité politique ne fait vivre ni les dirigeants ni les militants du NPA, c’est notre marque de fabrique. Quant à savoir qui sera candidat… Si on lance un appel pour une candidature de rassemblement et que cette discussion fait un flop, nous discuterons de la candidature du NPA au mois de juin.

Il est beaucoup question de laïcité dans le débat politique. Où en êtes-vous des controverses suscitées par la présentation d’une candidate qui portait un foulard ?

Le débat est profond et ne concerne pas que la gauche française. Même si de l’extérieur on ne voit que les deux positions les plus éloignées, nous avons avancé, et il y a plus de synthèse que ce qu’on veut bien croire. Pour avoir discuté avec les organisations féminines tunisiennes, la laïcité pour elles ne se négocie pas. C’est quelque chose d’indiscutable qu’on doit mettre en avant dans une constituante comme rempart à l’intégrisme religieux. Mais, comme certaines me l’ont dit aussi, la laïcité ne doit pas servir d’étendard à l’islamophobie du XXIe siècle ainsi que certains, notamment à l’extrême droite, s’en emparent. Il y a un point d’équilibre à trouver entre le droit des femmes, la laïcité et la question de l’islamophobie, qui tend à devenir un marqueur de la vie politique française et internationale.

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Ce que veulent les Égyptiens
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