Japon 24 mars: la fusion continue dans quatre réacteurs. Opérations de la dernière chance en cours. La radioactivité augmente partout. Des techniciens gravement irradiés vont mourir

Claude-Marie Vadrot  • 11 mars 2011
Partager :

Après les explosions survenues depuis le samedi matin suivant le tremblement de terre et la reprise sporadique des incendies, les six réacteurs de la centrale de Kukushima Daiichi et les piscines de stockage du combustible, échappent toujours aux équipes qui sont en train de se sacrifier comme l’ont fait les « liquidateurs » de Tchernobyl. Plusieurs d’entre eux, et pas seulement trois, ont été littéralement brulés par les radiations. Ce qui signifie clairement qu’ils n’ont pratiquement aucune chance d’échapper à la mort. Comme d’autres dont le pouvoir japonais n’osent pas parler. Dans quelques jours, on découvrira que comme à Tchernobyl, l’atome tue ceux qui tentent d’éviter une plus grande catastrophe.

De plus, trois réacteurs de la centrale de Kukushima Daini, un peu plus au sud ne sont toujours pas correctement refroidis ; tout comme les trois réacteurs, du même modèle, de la centrale d’Onagawa, un peu plus au Nord. En tout onze réacteurs du Nord-Est du pays, donnent de plus ou moins de soucis aux ingénieurs après avoir été arrêtés brutalement au moment du tremblement de terre. Les autorités japonaises, qui comme toujours en pareilles circonstances, avaient commencé samedi et dimanche par diffuser des informations rassurantes, ne savent pas ou n’ont pas voulu préciser si toutes les explosions et incendies ont détruit ou endommagé les enceintes de protection des réacteur, la chape de béton destinée à retenir toutes les émanations et particules radioactives. En fait, les spécialistes japonais ne savent plus où ils en sont ni dans quel état sont les enveloppes des trois les plus touchés. Or, la résistance de cette énorme cloche de confinement est d’ailleurs ce qui différencie le réacteur accidenté de Tchernobyl des réacteurs japonais ou français. Les hélicoptères qui ont pris l’air mercredi ne sont d’ailleurs pas destinés à refroidir les réacteurs, qui sont hors d’atteinte d’une telle manoeuvre, mais à tenter d’ajouter de l’eau dans les « piscines », notamment celle du réacteur 4 où sont stockés les barres de combustibles qui risquent aussi de relacher de la radioactivité en entrant en fusion si elles se retrouvent en contact avec l’air. Aprés deux tentatives, les hélicoptères ont du renoncer à une première tentative en raison de l’intensité des radiations. Aussi forte que celles qui ont tué les spécialistes qui ont tenté de colmater le réacteur explosé de Tchernobyl. Hier soir, après une seconde tentative des pilotes d’hélicoptères contraints de larguer 30 000 litres d’eau (quantité dérisoire) de très haut pour préserver leur vie, des pompiers qui savent qu’ils sont sacrifiés, vont commencer vendredi matin à « attaquer » un réacteur avec des canons à eau. Mais les piscines nucléaires continuent de se vider.

L’élévation progressive de la teneur en radioactivité relevée dans la région par des journalistes et des écologistes japonais, les ordres d’évacuation et de confinement (pour 260 000 personnes) donnés à la population dans une zone qui a été élargie à 30 kilomètres qui pourrait être encore rapidement élargie, laisse présager qu’il existe au moins des fissures dans les enceintes de plusieurs réacteurs, et les « docteurs tant mieux » du Japon et de France ont cessé depuis plusieurs jours de rassurer les japonais. D’ailleurs, la teneur de l’air en radioactivité a continué d’augmenter à Tokyo; et les Japonais et les étrangers quittant la capitale sont de plus en plus nombreux. Il s’agit désormais d’un véritable exode vers le sud du pays. D’autant plus que les chiffres fournis ne sont pas fiables et que l’eau de la capitale est désormais interdite aux nourissons.

La pagaille et les embouteillages qui avaient baissé d’intensité une semaine après l’accident se sont à nouveau amplifiés à la fin du dernier-week-end sur les voies menant vers le sud. L’exode reste freiné ou empêché par la pénurie d’essence notamment liée à l’absence d’électricité, et aussi par le manque de trains. D’où les hésitations des autorités japonaises : elles ne savent plus quoi faire des évacués qui courent le risque d’être rejoints sur les routes souvent coupées ou privées de ponts, par une plus forte vague de radioactivité. Des évacués qui s’ajoutent à ceux qui ont perdu leurs maisons et ont pris la route vers la capitale. En fait, cette région est pratiquement hors de contrôle et les populations abandonnées à leur sort, laissant progressivement les véhicules sans essence au bord des routes. Alors que la radioactivité mesurée lundi en début d’après midi (heure du Japon) par des volontaires appartenant à des organisations d’écologistes continue d’augmenter. Elle change d’ailleurs au gré du vent qui souffle désormais par moment du nord-ouest mais reste modéré (30 kilomètres heure). Mais qui pourrait tourner au du nord ce mercredi ou jeudi. Ce qui favorise les retombées sur la région : la radioactivité s’évacue de moins en moins vers l’Est et le Pacifique. Une preuve : dans l’ensemble de la province de Miyagi où se trouvent les centrales, et loin vers le sud, à 100 Kms de la centrale, la radioactivité a parfois grimpé à des teneurs entre 400 et 500 fois supérieures à la normale et elle a atteint des batiments militaires américains qui croisent au sud de la zone et gagne progressivement la région de Tokyo. Les pluies ou la neige prévues pour la semaine (il fait de plus en plus froid dans cette région privée d’électricité) auront d’ailleurs comme résultat de fixer les pollutions au sol en le contaminant pour des années. Dans cette région agricole, les cultures risquent d’être impossibles impossibles pendant des centaines d’années en raison des terres.

Et comme à Tchernobyl, les équipes qui réitèrent sans relâche des manoeuvres de dernière chance sont sacrifiées: autour des réacteurs incontrôlés, il y avait 800 techniciens et ingénieurs. Il n’en reste qu’une centaines qui ont déjà tous été irradiés. Comme les pompiers qui arrosent en vain les réacteurs. J’ai connu beaucoup d’ingénieurs russes ou ukrainiens ayant travaillé sur le réacteur explosé pendant l’année qui a suivi la catastrophe. Ils étaient devenus des amis. Ils sont tous morts, le dernier, Vlodymir, ayant été emporté en 1999 par un cancer du poumon.

Les chiffres actuellement disponibles pour l’extérieur de la centrale indiquent toujours (selon les rares mesures disponibles) qu’en une journée, un habitant présent à moins de cinq kilomètres reçoit, en particules et en teneur radioactives, l’équivalent d’une dose 40 fois supérieure à celle autorisée aux travailleurs du nucléaire en un an. Mais les chiffres restent en rapide augmentation. Ce qui confirme que un ou plusieurs coeurs de réacteurs poursuivent leur fusion et que plusieurs autres relâchent de la vapeur radioactive. Soit sous l’action des ingénieurs cherchant à faire baisser les pressions, soit en raison de fissures non maîtrisées. Tout cela faute de refroidissement après l’arrêt provoqué par le tremblement de terre. Il s’agit, comme pour les autres réacteurs en difficulté, d’un arrêt automatique. Lequel « secoue » toujours gravement l’ensemble des équipements de production et surtout de contrôle. Les conséquences en sont alors d’autant plus graves que pour ces réacteurs comme pour huit autres ayant subi ce type de choc, le refroidissement n’a pas pu être assuré correctement ou pas assuré du tout. Faute d’alimentation électrique : un réacteur, lorsqu’il ne produit plus d’électricité doit être alimentée par des lignes extérieures. Lesquelles ont été coupées ou détruites par le séisme alors que les équipements de secours n’ont pas toujours fonctionné correctement.

Le refroidissement est indispensable, tout simplement parce qu’après un arrêt d’urgence un réacteur continue à dégager environ 10 % de la chaleur et de la puissance nominale qui est de 520 Mégawatts pour le modèle de Kukushima. Evaluation qui n’a plus de sens quand un réacteur, faute de refroidissement, commence à s’emballer et à échapper au contrôle : faute d’eau et de liquide réfrigérant, les barres d’uranium restent en grande partie à l’air libre, produisant notamment de l’hydrogène (radioactif) qui peut exploser d’un moment à l’autre. Les réacteurs connaissent tous, y compris dans d’autres centrales, des difficultés parce que les générateurs de secours n’ont pas fourni à temps la puissance électrique nécessaire au maintien du refroidissement et au fonctionnement des trois autres salle de contrôle en charge chacune, comme en France, de deux réacteurs.

Contrairement à que qu’affirment les autorités françaises et les spécialistes officiels du nucléaire, il n’est pas besoin d’un tremblement de terre ou d’un tsunami pour que cette situation se produise dans un réacteur français: il suffit que pour une raison ou autre, le réacteur soit arrêté brutalement. Par inadvertance, par un fou, par un terroriste ou à la suite d’un incident non prévu par les protocoles de contrôle et de sureté.

La situation nucléaire au Japon, concerne onze réacteurs répartis dans trois centrales situées sur la côte Est du Japon qui se trouve être proche de l’épicentre du tremblement de terre. Il s’agit pour l’instant de la centrale de la centrale de Kukushima Daïichi avec six réacteurs, de la centrale de Fukushima Daini avec 4 réacteurs et celle de Onagawa, un plus au nord, où fonctionnent 3 réacteurs. Il n’y a pas d’informations fiables sur la situation de la centrale de Tokai, au sud, où un seul réacteur, mis en service en 1976, était en fonctionnement au moment du séisme. Le Japon compte actuellement 55 réacteurs en fonctionnement répartis dans 17 centrales. Ils assurent environ 35 % de l’électricité consommée dans le pays. L’essentiel du parc nucléaire est composé de 33 réacteurs à eau bouillante connu sous le sigle REB en français ou BWR en anglais car il s’agit d’une technologie américaine. Ils sont prioritairement en service aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suède, en Finlande et aussi en Russie. En France, EDF utilise exclusivement des réacteurs à eau pressurisée, mais la technologie –et donc les risques éventuels en cas d’incident ou d’accident- n’est pas fondamentalement différente.

Le combustible, de l’uranium enrichi, utilisé dans les réacteurs japonais à eau bouillante est à peu de chose le même et sous une forme identique que dans les réacteurs en service en France. Mais dans les réacteurs à eau bouillante, comme souvent pour la filière française, le combustible est ce que l’on appelle du MOX, c’est à dire un mélange d’uranium et de plutonium. Caractéristique problématique en cas d’accident et de rejet dans l’atmosphère, car à la radioactivité s’ajoute le danger d’ingérer des particules de plutonium qui induisent automatiquement des cancers à des doses infinitésimales.

Une différence importante entre les deux filières: il n’y a qu’un seul circuit primaire de circulation d’eau dans les REB, ce qui peut-être considéré comme une fragilisation supplémentaire en cas d’incident ou d’accident. Notamment parce que l’envoi en « recirculation » de l’eau et la séparation de la vapeur envoyée pour faire tourner les turbines sont plus compliquées et exigent plus de rigueur dans la surveillance du fonctionnement que dans les réacteurs français. D’où la gravité des incidents d’accès aux approvisionnements en eau froide en cas de perte de puissance électrique. Le choix entre les deux filières est induit par deux considération : la première est politique puisque les réacteur REB sont américains et la seconde est économique puisqu’ils coûtent moins cher à la construction.

Lorsque les autorités de sûreté nucléaire française et les politiques continuent à expliquer qu’elles vont prendre des mesures en France, cela confine au ridicule technique : l’Europe n’a jamais été menacée par les nuages radioactifs relâchés par les accidents en cours au Japon. Il ne s’agit donc que d’une gesticulation politique. Mais quand les spécialistes français signalent la grande compétence des ingénieurs nucléaires japonais, il sont dans le vrai car ils sont probablement meilleurs que les Français. Mais, dans leurs scenarii les plus pessimistes, ils n’avaient jamais envisagé une telle accumulation d’incidents. Ils s’avouent désormais dépassés par les événements et ne comptent plus que sur la chance pour éviter la catastrophe majeure dont tout le monde ose désormais prononcer le nom. Mais comme les ingénieurs et techniciens de Tchernobyl, ils prennent depuis vendredi des risques terribles, malgré les combinaisons et des courts séjours ne dépassant pas trois minutes, au cours de leurs interventions dans des bâtiments saturés de radioactivité. En fait, la situation leur échappe chaque heure un peu plus mais les responsables japonais ont en commun avec leurs homologues français un incurable optimisme qui continue, comme à Matignon, à Areva et à EDF, à se fissurer au même rythme que celui des cuves en perdition…

**Le dernier espoir vraiment sérieux d’éviter la catastrophe majeure réside dans la possibilité de rétablir l’alimentation électrique des réacteurs. A condition que les systèmes de refroidissement n’aient pas été définitivement détériorés par les radiations et les divers incendies. Mais, de jour en jour, le moment fatidique de le vérifier est retardé tant les opérations de raccordement sont difficiles et conduites dans une atmosphère hautement radioactive
*

Avec mes remerciements pour son aide à mon confrére japonais Hitoshi Kadowaki

Illustration - Japon 24 mars: la fusion continue dans quatre réacteurs. Opérations de la dernière chance en cours. La radioactivité augmente partout. Des techniciens gravement irradiés vont mourir - Carte des centrales au Japon

Pour ceux qui veulent comprendre exactement ce qui se passe dans un réacteur brutalement arrêté (comme si on coupait le contact sur une voiture roulant à 130 km/h ou dans le cas d’un freinage d’urgence d’un TGV), je renvoie le lecteur à mon livre de fiction « {Inéluctable, le roman d’un accident nucléaire en {{France} »}} qui met en scène les questions techniques et politiques, notamment sur la question de la dissimulation des informations importantes

Mon correspondant au Japon, un journaliste spécialisé, me signale une nouvelle aggravation de la situation mercredi soir, heure du Japon et confirme aussi un autre probléme: faute d’électricité, la plupart des habitants de la zone menacée et jusqu’à 150 kilomètres vers le sud et vers le nord, ne peuvent plus être alertés par la radio et la télévision et n’ont plus accès à Internet. Ils ne peuvent plus être informés en temps réel. Et ils partent au hasard avec quelques bagages à la recherche de moyens de transports.
D’autre part il apparait que, cauchemar de tous ceux qui simulent des opérations d’évacuation, les routes sont de plus en plus paralysées par ceux qui tentent de s’enfuir vers le sud. Et par des milliers de véhicules abandonnés faute d’essence. Car les destructions de voies ferrées et le manque d’électricité ont considérablement réduit la circulation des trains. Le chaos nucléaire, explique-t-il, s’ajoute au chaos du tremblement de terre et du Tsunami. La zone des centrales sont désormais interdites à la presse.
De toutes façons elles deviennent de plus en plus dangereuse et Radio France a rappelé tous ses envoyés spéciaux. Comme la plupart des médias européens.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 12 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don