Les coulisses de la ville

À découvrir au festival Banlieues bleues, Trombone Shorty marie le jazz New Orleans avec des sons funk-rock emballants.

Ingrid Merckx  • 17 mars 2011 abonné·es

Backatown. C’est le titre de son premier album sorti sur une major [^2]. Plus qu’un programme, une déclaration, car Backatown est une zone de la Nouvelle-Orléans où Trombone Shorty, Troy Andrews de son vrai nom, est né il y a vingt-quatre ans, et qui comprend le quartier Treme, centre de la culture afro-américaine locale. Dans Backatown, on entend aussi « back in town » (retour en ville). Un ­double sens pour cet enfant du pays parti à l’assaut de la scène mondiale sous l’impulsion de Lenny Kravitz, mais qui porte et revisite la musique traditionnelle New Orleans avec des sons et des rythmiques actuels (funk, rock, hip-hop).

C’est aussi le retour en ville après l’ouragan Katrina. Un come-back de naufragés qui est justement le sujet de « Treme », une série télévisée inédite en France (HBO) [^3], exceptionnelle car musicale et tissant adroitement la fiction et le documentaire. Trois mois après le passage de l’ouragan, David Simon, le créateur de la série « The Wire », suit à la ­Nouvelle-Orléans une galerie de personnages, en majorité des musiciens, fictionnels et réels, dont Trombone Shorty dans son propre rôle (tromboniste, trompettiste, chanteur), qui tentent de se remettre de la ­cata­strophe. Dans ce décor délabré qui crie la disparition d’une cité au sud d’un pays relativement sourd à l’histoire, la musique incarne la persistance de la culture et des utopies, au-delà des maisons et, presque, des gens. La musique survit, et avec elle tout le patrimoine invisible local. Trombone Shorty apparaît à la descente d’un avion, au sortir d’un studio, de même que des figures comme Allen Toussaint, Dr John ou Donald Harrison. On entend dans « Treme » aussi bien des marching bands que ce qui se joue dans les clubs, les rues, les bars, sur les ondes locales : standards, folk, blues, country, Indiens de Mardi gras, musique cajun…

C’est dans cette prolifération de sons que Trombone Shorty a grandi, dans une dynastie de musiciens comme on en trouve plusieurs à la Nouvelle-Orléans. Difficile de dissocier ­désormais ce jeune tromboniste de ce qu’il représente dans cette série, dont l’une des questions centrales est précisément l’articulation entre le passé et le présent, les sons des anciens et ceux des jeunes, l’hommage et l’innovation, la disparition et la reconstruction.

Programmé le 24 mars à Aubervilliers pour la 28e édition du festival Banlieues bleues, Trombone Shorty ouvre une piste. Comment sonner jazz et populaire ? Il a appris à manier son « bone » dans la rue, où tout
– rythmiques, solos, associations inattendues – est bon pour conserver l’attention des passants… C’est peut-être cette street credibility qui protège ses arrangements des pièges du marketing (voir les muscles saillants sous le débardeur sur les visuels de promo). Dans Backatown, qui marie notamment de grosses sessions façon big-band avec des rythmiques rock, et parfois même hard-rock ou ska, entre quelques parties de chant plus pop, une trompette vient soudain sonner non pas une alerte (« Neph »), mais un appel à sortir dans la rue pour défiler, danser, mixer les âges et les identités, une rythmique légère soutenant en arrière-fond un magnifique solo cuivré.

[^2]: Backatown, Verve, Universal.

[^3]: Dont Trombone Shorty a cosigné la bande originale, Treme, Universal Jazz.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes

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