Les maladies de la langue

Journaliste à France Inter, Frédéric Pommier signe une chronique hebdomadaire sur les facilités de langage dans les médias. Il en a tiré un ouvrage subtil.

Jean-Claude Renard  • 3 mars 2011 abonné·es
Les maladies de la langue

C’est agaçant à la fin (et même au début), ces maladresses. Cette habitude de dire « un espèce de » au lieu d’ « une espèce » , de fourrer un subjonctif au cul d’un « après que » quand, par définition, le subjonctif est un irréel du présent, forcément hors-jeu dans l’après. Agaçant aussi de glisser l’échappatoire dans le masculin plutôt que dans le féminin. Une et non pas un. Irritante, l’expression redondante « voire même » . Sur un autre mode, redresseur de torts et de balourdises, Frédéric Pommier, journaliste à France Inter, égrène précisément le bastringue du bavardage. Le toutim mal à propos. Chaque vendredi, dans « Comme on nous parle », l’émission animée par Pascale Clark, il souligne les automatismes lexicaux, les facilités de langage. Des manies très présentes autour de nous, relayées par les politiques, abondamment à la radio et à la télévision. « Impro­bable » , « décalé », « surréaliste », « incontournable », « très attendu ». Ou encore « le dernier des grands » , façon Jean-Pierre Pernaut, et de pleines bordées de périphrases. Tous concernés. Tous usagers. « N’avez-vous jamais déclaré, s’interroge Frédéric Pommier, *“Charles Aznavour, j’adore, mais Dick Rivers, c’est juste pas possible” ? »
*

Si « nos expressions témoignent d’un manque cruel d’imagination, observe le chroniqueur, et d’une faculté sidérante de soumission à l’air du temps », si elles se répandent facilement, « c’est évidemment grâce aux médias [grâce ou à cause ?] et, particulièrement, à la télévision, qui brasse et qui diffuse les différents niveaux de langue et toutes les petites maladies du parler d’aujourd’hui. Des maladies qu’on pourrait appeler des “MAT” : maladies auditivement transmissibles ».

Ainsi, cette « foule d’anonymes » à l’enterrement de Jean Ferrat. « Ce n’est jamais très intéressant “la foule” » , à côté d’un parterre de vedettes. Quant aux anonymes, poursuit Pommier, « dans le langage médiatique » , ils sont « tout bonnement les gens que les journalistes ne connaissent pas » . C’est aussi un terme qui « n’a pas très bonne réputation » si l’on songe à la lettre ou au coup de fil « anonyme ». « Il aurait été plus élégant, et certainement plus juste, de dire qu’il y avait quelques célébrités et un parterre de citoyens » aux obsèques du chanteur.

Autre exemple : Claire Chazal évoquant la grippe et des personnes âgées placées « sous très haute surveillance » , ou la croissance, également « sous haute surveillance » , tandis qu’un « scrutin au Gabon ou en Afghanistan se déroule toujours sous “haute surveillance”. Et quand c’est à Corbeil-Essonnes, on dit “sous très haute surveillance”, parce qu’il y a là-bas, dit-on, certaines voix qui s’achètent et d’autres qui se perdent, comme se perdent parfois les claques. En somme, tout le monde ou presque se retrouverait un jour “sous surveillance”. Mais sous la surveillance de qui ? »

Le bras de fer n’échappe pas à la contagion, sans rapport avec la confrontation qui consiste à « faire plier le bras de son adversaire sans lever le coude de la table »  : bras de fer entre Françoise de Panafieu et Bernard Debré, entre Nicolas Sarkozy et les syndicats, entre Nadal et Federer. « Mais comment peuvent-ils faire ? Ils tiennent déjà leur raquette ! C’est le problème des journalistes atteints par la bradeférite : leurs images, par moments, sont sources d’inepties. » De la même manière, tout le monde « monte au créneau » . On y verrait presque, dans ce retour médiéval et du château fort, « les arbalètes, les lances, les cottes de mailles » . Dans le bottin « hallucinant » de Pommier « au chevet » de la langue, ou plutôt « dans l’entourage », « on revisite » « au quotidien », « et en même temps », « comme vous le savez », on a « envie de rebondir » , tout en « grognant » « à la maison ».

Voilà de la chronique troussée dans l’adjectif, fringante, trempée de verve et de sens. Qui sert à la volée, swingue à revers, smashe. Et dans laquelle « pour le coup » , vigilant, l’auteur ne s’épargne pas lui-même (ni ses potes marseillais, ni sa cousine, ni sa grand-mère). « Que du bonheur. »
Frédéric Pommier s’est formé à la musique, aux cours de piano du conservatoire d’Alençon. Affaire d’oreille avant d’empocher une licence de philosophie et de franchir les portes d’une école de journalisme à Marseille. Suivent des stages à la rédaction de France Culture.

En 2001, il entre à la rédaction d’Inter, couvrant la politique jusqu’en 2007. Sa voix suave se prête à la revue de presse, le ton parfois taquin, malicieux, entre septembre 2008 et juillet 2009. À l’arrivée de Philippe Val, il est viré de l’exercice. Passons. La rencontre avec Pascale Clark est alors l’occasion de parler dans le micro d’une autre manière, au sein de son émission « Comme on nous parle ». Au pied de la lettre. Et sans faire la sourde oreille. « Une chronique peut s’écrire comme de la musique », observe-t-il. Le conservatoire, ça mène à tout. Jusqu’au « 5/7 boulevard » de Philippe Collin, dans lequel il présente, le « Pop corner » , un journal de la culture ; les aléas d’un couple à travers la politique, dans une fiction baptisée « les Amants du boulevard »  ; et un billet poétique virant en chanson, non moins politisée. Parallèlement, la chronique sur le langage a donné lieu à un ouvrage : Mots en toc et formules en tic. De quoi consulter sur papier combien ces facilités sont curieusement récurrentes. « Voilà, voilà. »

À écouter de près (voire de loin), ou à lire, c’est là un décryptage. Des médias, du politique. Du discours et des phrasés. Frédéric Pommier pointe sans besoin de cingler. La matière est dense. Il y puise. Et invite à réfléchir sur l’usage des mots, leur répétition tournant au ridicule. Non sans ajouter une once d’absurde, un fagot d’ironie et d’humour. Drôle « par-dessus le marché ». Pas des bottes qui font sourire d’un tort et travers. Drôle puissamment, « mine de rien ». Il aura à dire et redire sur l’expression. Il n’empêche. Il est drôle dans l’intelligence. Mine de rien.

Mots en toc et formules en tic, Frédéric Pommier, éd. Seuil/France Inter, 174 p., 13 euros.`

Sur France Inter : « Comme on nous parle », le vendredi, vers 9 h 30. Le « Pop Corner » du « 5/7 boulevard », du lundi au vendredi, à 17 h 48, « Les Amants du boulevard », le mardi, à 18 h 53, et « La Poésie du jeudi », le jeudi, à 18 h 53.

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