Maroc : une révolution, vraiment ?

Le 9 mars, le roi a annoncé une réforme des institutions. Avancée démocratique vers une monarchie constitutionnelle ou opération de déminage ?

Jennifer Austruy  • 17 mars 2011 abonné·es
Maroc : une révolution, vraiment ?
© Photo : Senna / AFP

« Le roi nous a enlevé une épine du pied, lance Mehdi Lahlou, économiste et membre du bureau du Parti socialiste unifié (PSU), on va éviter une situation de drame comme en Libye ou en Égypte. » Inspirée par les mouvements de libération tunisien et égyptien, la population marocaine était descendue dans la rue le 20 février pour réclamer plus de droits et d’égalité, et s’apprêtait à y retourner le 20 mars. Mais Mohammed VI a surpris son peuple en accédant à ses principales revendications. Le 9 mars, le roi a fait preuve d’habileté en montrant des signes encourageants d’ouverture et une volonté de négociation. La réforme de la monarchie réclamée depuis des années par l’opposition devrait enfin voir le jour. La mesure clé : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre, promu chef de l’exécutif, rôle jusqu’alors tenu par le monarque lui-même. Désormais, le Premier mi­nistre serait automatiquement issu du parti arrivé en tête aux élections.

Mais les modifications constitutionnelles ne s’arrêteraient pas là. La séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la démocratisation des institutions, l’élargissement des libertés individuelles et collectives ont été promis par le souverain chérifien. Enfin, une plus large autonomie accordée aux régions, avec des gouverneurs démocratiquement élus, pourrait ­mettre un terme au clanisme ambiant et respecter la spécificité culturelle de chaque groupe de la population marocaine.

Pour mettre en place ces réformes, une commission vient d’être créée. Présidée par le constitutionnaliste Abdeltif Mennouni, « notoirement connu pour sa sagesse » selon le roi, cette commission sera chargée d’être « à l’écoute » et de « se concerter avec les partis politiques, les syndicats, les organisations de jeunes et les acteurs associatifs, culturels et scientifiques » pour mettre sur pied la réforme constitutionnelle. Les résultats des travaux de la commission devront être présentés au Palais au mois de juin avant d’être soumis à un référendum populaire.
Toutefois, devant ce tableau aux apparences idylliques, certains avouent leur scepticisme.

Première ombre au tableau, l’article 19 consacrant les pouvoirs absolus du souverain, qui rendrait caduc tout autre article s’il n’était pas supprimé. Mohammed VI a précisé qu’il ne toucherait pas à certaines sacralités telles que la patrie, l’islam et son statut de commandeur des croyants. Les sceptiques attendent donc de voir quels seront les pouvoirs réellement accordés au Premier ministre. Mehdi Lahlou estime pour sa part que « les prérogatives des uns et des autres doivent être inscrites dans la Constitution ; les compétences de chacun doivent être précisées, sinon il y aura des blocages » . Rien n’a été dit sur les pouvoirs que conservera le roi, sur le contrôle de l’armée ou encore sur la manière de concrétiser ces nouvelles réformes.

Deuxième point noir, les membres de la commission ont été nommés unilatéralement par Mohammed VI. Vont-ils s’émanciper de cette lourde tutelle ? Enfin, certains sujets fondamentaux n’ont pas été évoqués. Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine pour les droits humains, regrette que le souverain n’ait pas évoqué « les droits civils et notamment les droits de la femme » . La question de l’héritage, partagé de manière inéquitable, est une des revendications essentielles des femmes. D’autres critiques font état du silence royal sur la séparation entre les pouvoirs politique et religieux, ou sur une quelconque ouverture de l’espace médiatique. Les partisans de la séparation entre religion et État réclament le bannissement du Parti justice et développement, le parti islamiste, qui compte 46 députés à la Chambre des représentants. Quant à la question primordiale des médias indépendants, Mehdi Lahlou y voit un bon moyen de créer un rempart contre l’islamisation du pays : « Au Maroc, une bonne partie de la population est analphabète, les partis d’opposition n’ont pas accès aux médias, et les islamistes ont le monopole des mosquées. En conséquence, nous, partis politiques, n’avons pas accès à la population et ne pouvons pas défendre la démocratie. »

Alors que certains parlent déjà de « révolution tranquille » et saluent l’ouverture à la discussion du roi Mohammed VI, d’autres craignent un simple effet d’annonce destiné à prévenir tout risque de contagion avec un monde arabe en ébullition : « J’ai peur que ce ne soient au final que de petites modifications qui démobilisent les gens, comme en 2003 [^2]. Les femmes ont cru obtenir plus de droits, elles ont alors arrêté toute revendication » , conclut ­Khadija Ryadi.

[^2]: La réforme de la moudawana, le droit de la famille marocain, annoncée par le roi en octobre 2003, avait suscité l’enthousiasme général. Cette réforme visant à modifier le statut de la femme en lui donnant plus de libertés n’a, depuis sa promulgation en février 2004, pas réellement été suivie d’effets, surtout dans les campagnes.

Monde
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