«Poursuite» : le défi du triangle

Marina Déak met en lumière une jeune femme qui cherche à concilier travail, enfant et désir.

Ingrid Merckx  • 10 mars 2011 abonné·es

D’abord, il y a cette lumière. Alors que la rame de métro est sous terre, les visages des passagers semblent éclairés par le jour. Dès la première scène, Marina Déak indique que Poursuite a fort à voir avec le réel. La cinéaste ne brouille pas les frontières : le spectateur sait qu’il est dans une fiction et que c’est la mise en scène qui tisse le documentaire. D’où un puissant effet de réel. Cela tient aussi au jeu des comédiens, d’un naturel réjouissant. Marina Déak en tête, dans le premier rôle. Elle se montre sans fard, dans toute sa nudité de trentenaire prise dans le triangle enfant-travail-désir : Audrey a quitté le père de son fils, Mathieu, 7 ans (joué par le fils de la cinéaste…). Ne voulant pas le laisser, ne pouvant pas s’installer avec lui, elle le confie à sa mère et cherche à refaire sa vie. Quel boulot, quel homme et où vivre avec son gamin ?

Cet effet de réel tient aussi à l’écriture. Audrey n’apparaît pas tout de suite, le film la suit mais fait des pas de côté : insertion de témoignages, face caméra, de jeunes femmes, dont Audrey, qui se démènent dans ce même triangle ; allégorie sur le désir dans une piscine ; « abandon » d’Audrey pour suivre son « ex », son compagnon ou sa mère. Poursuite n’est pas un portrait mais la mise en lumière, rare au cinéma, de la situation d’une jeune femme qui cherche quelle femme et quelle mère elle a envie d’être. À plusieurs reprises, Audrey se montre perplexe, se cherchant des idées, des mots, une tête : face à celle qui lui propose un poste sous-qualifié et aux horaires tardifs, face à son compagnon, qui l’invite à rencontrer sa famille, face à ce type qui commente leurs jeux sexuels, face à son amie qu’elle trouve « mémère » avec son bébé ; face à son fils, qui pleure la nuit à côté d’elle, face à sa mère, qui lui propose le rôle de la « grande sœur »…

Audrey veut tout, travailler avec des horaires compatibles avec ceux d’un enfant, s’occuper de lui sans être prisonnière d’un tête-à-tête routinier, avoir un compagnon qui soit plus un amoureux qu’un père et surtout pas une solution pratique… Marina Déak ne reconstruit pas un quotidien, elle assemble des scènes clés qui disent ces tiraillements et la volonté de tout concilier avec une grande pertinence, d’où la portée féministe du film.
Cela tient, enfin, à la durée des séquences : plus longues (dans un documentaire), plus courtes (dans une fiction), leur impact aurait été dilué. Comme dans cette scène de rap dans la baignoire où Audrey « récupère » son rôle de « mère dans le vent », Marina Déak trouve le tempo qui convient pour laisser exister dans le cadre et au-delà quelque chose de particulièrement signifiant.

Culture
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