Séisme et tsunami au Japon : « Impossible de se préparer à une telle catastrophe »

Quelques heures après le violent tremblement de terre qui a touché le Japon, les alertes au tsunami sont encore effectives sur une partie des rives de l’océan Pacifique. Les tremblements de terre et leurs conséquences font partie du quotidien et de la mémoire collective japonnaise. L’analyse de Jean-Michel Buten, ethnologue du Japon.

Erwan Manac'h  • 11 mars 2011 abonné·es
Séisme et tsunami au Japon : « Impossible de se préparer à une telle catastrophe »
© Photo : Darren Gubbins / AFP

La secousse d’une magnitude de 8,9 qui a déchiré le fond de la mer, au large du Japon, à 14h46 heure locale aujourd’hui, a projeté une déferlante d’eau sur le nord-est du Japon et sur plusieurs points côtiers du Pacifique. (Voir notre article)

Les premiers bilans continuent de tomber (40 morts et 39 disparus, sept heures après le séisme), alors que les alertes au tsunami sont toujours en cours en Equateur, au nord de la Nouvelle Calédonie et sur l’ensemble du bassin Pacifique.

Jean-Michel Buten est ethnologue du Japon à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Il tente de prévoir la réaction de la société japonaise face à ce cataclysme et analyse les premières heures écoulées depuis le tremblement de terre.

Politis.fr : Comment la société japonaise réagit-elle quelques heures après la catastrophe ?

Visiblement il n’y a pas de mouvement de panique, l’urgence s’organise rapidement. Des consignes de prudences tournent en boucle : on demande aux gens de ne pas rentrer chez eux, de couper l’électricité pour éviter les incendies lorsque le courant sera rétabli. Un état d’urgence nucléaire a été déclaré par le premier ministre après l’incendie d’une centrale [^2].
La société s’organise pour faire passer de l’information. Des compagnies de télécommunication ont mis en place des sites sur lesquels les gens peuvent laisser de leurs nouvelles avec leurs téléphones pour qu’elles soient accessibles dans tout le pays.

Les Japonais ont-ils l’habitude des séismes et des tsunamis ?

Il est impossible de parler d’« habitude » face à une catastrophe d’une telle ampleur, mais effectivement toutes les mesures ont été pensées. Il y a des abris dans tous les quartiers du Japon et tout le monde a eu dans sa vie l’expérience de petits tremblements de terre, qui sont très fréquents.

Tous les Japonais garde en mémoire les images du tremblement de terre de Kobé, en 1995, qui avait fait des milliers de morts dans une des plus grandes villes du pays. La reconstruction a été très longue.

Dans tous les ports, il y a d’énormes digues en bétons et des portes coulissantes en métal, elles ont rapidement été fermées. Des blocs de bétons ont été construits sur tout le littoral pour briser les vagues.

Mais face à une catastrophe pareille, il est impossible d’avoir des réflexes. Les consignes de sécurité que les enfants apprennent à l’école ne tiennent pas.

À quelle réaction peut-on s’attendre dans le mois à venir chez les Japonais ?

En 1995, le tremblement de terre avait donné naissance à un mouvement de solidarité, non organisé par le gouvernement. Cela a un peu marqué le renouveau du mouvement citoyen au Japon. On devrait certainement assister à des dynamiques similaires, principalement chez les jeunes. C’est le cas à chaque grande catastrophe.

Dans la petite région où les vagues ont été les plus fortes, tout a été submergé. C’est une région très rurale, il y a donc énormément de personnes âgées assez solitaires.

Le Japon est aussi une société de l’image. Les vidéos impressionnantes des vagues et des incendies qui passent en boucle à la télévision pourront avoir un impact, elles sont en plus d’excellente qualité. Après le tremblement de terre de Kobé, des écrivains ont raconté par exemple combien ils avaient été paralysés, devant leur télévision, par ces images.

Il y a eu un autre très grand tremblement de terre dans l’histoire récente du pays. En 1923 à Tokyo, la catastrophe avait donné naissance à un mouvement de chasse contre les Coréens qui résidaient au Japon. À l’époque plusieurs milliers de Coréens avaient été assassinés. Ils étaient accusés d’avoir empoisonné les puits.

Mais c’était dans un Japon colonial et impérialiste. Il y avait à l’époque l’idée que le Japon était le pays dominant en Asie et que les Coréens étaient des gens dangereux qu’il fallait éduquer. Quand il y a eu ce tremblement de terre, il a fallu chercher un bouc émissaire et les Coréens ont largement servi à cela. Mais nous ne sommes évidemment très loin de tout cela aujourd’hui.

Y a-t-il une mythologie du tremblement de terre ?

Il y a beaucoup de comptes et de légendes sur les tremblements de terre, mais ce sont des histoires pour enfants. Aucun Japonais n’y croit. Par contre il y a eu des images de sanctuaires ou de temples qui ont été dévastés. On peut imaginer qu’il y ait des grandes prières de purification, ou pour prier le retour de l’état naturel. Mais je ne crois pas que cela implique les gens émotionnellement autant que la solidarité qu’on verra se mettre en place prochainement.

[^2]: une centrale nucléaire est en feu et 2000 personnes ont été sommées d’évacuer la zone en tout urgence.

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