Transparence ou totalitarisme ?

Quelques mois après
les révélations médiatisées de Wikileaks, un reportage dans les coulisses du site. Guère convaincant.

Jean-Claude Renard  • 31 mars 2011 abonné·es

Parfaitement inconnu du grand public il y a un an, le site s’est fait la part belle médiatique tout au long de l’année 2010. De révélations militaires en courriers diplomatiques jetés à la face du monde. Volonté affichée de son fondateur, Julian Assange, animé de bons sentiments : dire la vérité. Surtout en temps de conflits. « La première victime de la guerre, c’est la vérité » , déclare-t-il devant la caméra. Et les réalisateurs, Luc Hermann et Paul Moreira, de s’interroger en voix off : « Héros des temps modernes ? Voleurs de feu qui viennent éclairer la vérité ? Ou bien des pirates de l’informatique avides de célébrités ? » Wiki signifiant mise à la disposition de tous, il y a sans doute de tout dans cette Samaritaine du web, et plus que cela.
S’appuyant sur les fuites d’information, sans révéler ses sources, Wikileaks a été fondé en 2006, financé par des dons privés, orchestré par des hackers « résolus à changer le système » . Un réseau qui « existe dans un espace virtuel , explique son fondateur, mais aussi dans la réalité. Nous sommes une organisation internationale, avec des moyens techniques, financiers et avec des gens partout dans le monde » . Le premier coup d’éclat de WikiLeaks tonne, en avril 2010, avec la diffusion d’une vidéo de l’armée américaine montrant un hélicoptère Apache abattant un groupe d’Irakiens et deux photographes de Reuters lors d’un raid aérien sur Bagdad en juillet 2007. Ni plus ni moins un crime de guerre. Un document, on le saura plus tard, livré à WikiLeaks par un jeune soldat, Bradley Manning, passionné d’informatique, classant discrètement dans son ordinateur des milliers de documents militaires.

À l’été 2010, le site quitte le cercle des hackers pour jouer dans la cour des grands. Avec l’Afghanistan comme matériau et la publication de 90 000 documents, s’associant au Guardian, au New York Times et au Spiegel. Une collaboration qui tend à décrypter, authentifier les documents militaires avant publication. Qui donne plus d’éclat aussi. Si cette livraison permet notamment de découvrir que le Pakistan est impliqué directement aux côtés des talibans pour déstabiliser les forces occidentales, elle essuie une pluie de condamnations pour les identités ouvertement révélées. En octobre dernier, c’est au Monde de s’associer à WikiLeaks, pour de nouvelles révélations sur la guerre en Irak. « La plupart de ces dépêches montrent le quotidien des soldats, mais pas la vérité » , prévient Rémy Ourdan, grand reporter au Monde. En novembre, également avec le Monde, ce sont des milliers de messages diplomatiques qui tombent. « La vérité », selon Julian Assange, a franchi un cap.

Si les réalisateurs entendent « mener l’enquête » sur ce réseau, « avec ses forces et ses faiblesses, son mythe et sa part d’ombre » , le reportage ne fait que linéairement rapporter ce que l’on sait déjà. Sans beaucoup de recul (desservi aussi par un accompagnement musical digne de « Faites entrer l’accusé »). Fort, certes, d’entretiens avec Julian Assange et Daniel Domscheit-Berg (porte-parole du site, aujourd’hui dissident), mais sans aborder réellement les enjeux d’un réseau qui se voudrait un contre-pouvoir.
Si Renaud Muselier (UMP), numéro 2 de la diplomatie française en 2003, condamne ici WikiLeaks, pas un mot de l’un des plus éclairants diplomates sur le sujet, Hubert Védrine. Lequel exprimait son scepticisme en décembre dernier, au micro de France Inter, assimilant le mythe de « la transparence absolue » à un « totalitarisme masqué »  : « On n’y apprend rien que nous ne sachions déjà. Rien d’important. On ne va pas découvrir que les pays arabes craignent l’Iran, que nombre de présidents jugent mal le président Chávez. […] Ça peut apporter des complications, gêner ponctuellement tel ou tel, mais ça ne change pas les données que les dirigeants de base connaissent bien. C’est même la démonstration que la transparence, cette espèce de veau d’or contemporain n’apporte rien. Dans la diplomatie publique, il y a toujours un risque de fanatisme. […] On est dans une société qui croit dur comme fer que la transparence est un bien en soi. » Et de conclure sur la nécessité de réfléchir sur cette transparence et ses limites. « Totalitarisme masqué » ou nécessaire transparence, c’est peut-être par là qu’il aurait fallu commencer.

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