Après le nuage, le poids du doute

En France, des patients atteints de pathologies thyroïdiennes tentent d’obtenir la reconnaissance d’un lien entre leur maladie et la catastrophe de Tchernobyl.

Ingrid Merckx  • 21 avril 2011 abonné·es

Pas de lien de cause à effet entre la catastrophe de Tchernobyl et les pathologies thyroïdiennes en France ? Pourtant, l’incidence de ces maladies a augmenté depuis le passage du nuage. Pourtant, une enquête a été lancée par la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geoffroy à la suite d’une action en justice entamée par l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) en 2001. « Le dossier est protégé par le secret de l’instruction, je ne peux divulguer aucun élément. Mais des preuves existent ! Encore faut-il accepter de les voir » , soupire Chantal Garnier, vice-­présidente de l’AFMT. Le 31 mars, devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, le parquet a demandé la clôture de l’enquête, assortie d’un non-lieu.
« Dans un contexte post-Fukushima et de défiance des citoyens envers la justice, une telle décision ne peut soulever que la suspicion , affirme Me Fau, un des avocats de l’AFMT. Le parquet a clairement pris le parti de Pierre Pellerin. » À 87 ans, l’ancien chef du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) est l’unique mis en examen dans cette affaire pour « blessures involontaires » et « tromperie aggravée » . Il est accusé d’avoir volontairement minoré la contamination due au nuage radioactif de Tchernobyl [^2] et validé la commercialisation de denrées alimentaires avec des taux d’irradiation élevés.

Quelle que soit l’issue de ce procès, le combat des 658 plaignants soutenus, par la Criirad, reste emblématique du silence et de l’ignorance qui entourent encore les conséquences sanitaires de Tchernobyl, y compris en France.
La catastrophe de Fukushima aura-t-elle une influence sur la cour ? Une condamnation de Pierre Pellerin permettrait au moins d’établir qu’il y a eu tromperie, et la poursuite de l’instruction lèverait une partie des doutes sur ce dossier. Jusqu’à espérer la reconnaissance d’un lien entre les maladies développées et Tchernobyl ? À en croire Me Fau, il y a peu d’espoir : « Notre système pénal s’appuie sur des certitudes qui sont très difficiles à établir en matière de santé publique. » Surtout dans ce dossier : très peu de mesures ont été réalisées dans les trois semaines qui ont suivi le passage du panache de Tchernobyl sur la France. Comment évaluer scientifiquement aujourd’hui l’impact des retombées ? Comment prouver que Bourret (Tarn-et Garonne) a subi une irradiation importante ? Des habitants de ce village sont à l’origine de la création de l’AFMT en 1999 : « Nous avons réalisé que plusieurs personnes, dont cinq élèves de l’école primaire, étaient atteintes d’un cancer de la thyroïde ; cela nous a mis la puce à l’oreille… » , raconte Chantal Garnier. L’association a été lancée pour soutenir les malades de la thyroïde [^3], soit un Français sur dix en moyenne. Toutes les pathologies n’ont pas le même degré de gravité. Si la plupart se soignent, aucune ne se guérit. Les personnes sont condamnées à un traitement quotidien contraignant aux hormones ou à l’iode.

« Ces atteintes ont toujours existé. Depuis les années 1980, elles sont beaucoup mieux diagnostiquées. Ce qui explique en partie une augmentation de l’incidence de ces maladies » , souligne le pédiatre Jacques Guillet, conseiller scientifique de l’AFMT, fondateur du service de médecine nucléaire à l’hôpital d’Agen et d’un laboratoire indépendant de surveillance de la radioactivité autour de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-Et-Garonne). De plus, on sait aujourd’hui que les premiers facteurs environnementaux d’une pathologie thyroïdienne sont le tabac et le manque d’iode. Dès lors, comment distinguer l’incidence respective du progrès de l’observation médicale et des retombées radioactives ? « Après l’explosion de la bombe H Bravo sur l’atoll de Bikini, dans le Pacifique, les mesures permettaient de dire que les habitants des îles Marshall voisines multipliaient le risque de développer une pathologie , reprend Jacques Guillet. Mais, concernant les habitants de Bourret, comment savoir si, parmi les facteurs environnementaux susceptibles d’être mis en cause, c’est le panache ou s’il ne s’agit pas d’une concentration aléatoire de cas ? » Les éléments réunis par Marie-Odile Bertella-Geoffroy devraient apporter des éclairages. La Cour doit se prononcer le 7 septembre.

[^2]: Alors que les pays voisins le détectaient, les cartes exposées en France suggéraient qu’il s’était arrêté à la frontière…

[^3]: Association française des malades de la thyroïde : http://www.asso-malades-thyroide.org et tél. : 05 63 27 50 80.

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Des vérités cachées
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