Changer d’ère / Un marché de dupes pour les forêts

Jean-Claude Génot  • 14 avril 2011 abonné·es

Dans leur livre ONG et biodiversité , paru en 2005, Denis Chartier et Sylvie Ollitrault soulignent : «  En s’inscrivant dans [une] logique modernisatrice, [les ONG] hypothèquent leur avenir comme agents dominants d’un secteur qui se dilue, mais elles peuvent aussi hypothéquer les objectifs de conservation, si ceux-ci se fondent dans une culture managériale où l’invocation du développement durable ne remettrait pas en cause les logiques destructrices du capitalisme. »

C’est ce qui est arrivé à France nature environnement (FNE), qui, lors du Grenelle de l’environnement, a choisi la concertation plutôt que l’opposition, et a accepté de signer un accord avec les forestiers pour « produire plus tout en protégeant mieux la biodiversité ». Ce slogan paradoxal aurait dû interpeller l’ONG, mais celle-ci a voulu accompagner un mouvement qu’aujourd’hui elle ne contrôle plus, tandis que les acteurs économiques parlent désormais du « produire plus » en omettant la protection de la biodiversité. Comment peut-on se concerter avec des interlocuteurs qui n’ont que la croissance quantitative en tête ? Le « produire plus » va conduire à une forêt de plus en plus artificielle, compris au premier degré par les productivistes qui ne désarment jamais et réclament aujourd’hui plus de plantations à la place de la régénération naturelle, et plus de résineux à la place des feuillus.

FNE a voulu négocier avec des partenaires qui ne cherchaient que la caution des « écolos ». Ah ! Il fallait voir le plaisir non dissimulé avec lequel certains technocrates de l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire des forêts publiques, se félicitaient, à la suite du Grenelle, de pouvoir désormais produire plus avec la bénédiction des associations de protection de la nature…
Comment se concrétise le « tout en préservant mieux la biodiversité »  ? Par 1 % d’îlots de sénescence (où les arbres peuvent vieillir et se décomposer) et quelques réserves dans les forêts publiques : ce qui laisse la plus grande part à la production. Un marché de dupes ! En région Rhône-Alpes, les associations de protection de la nature ont certes demandé que 10 % des forêts ne soient pas exploitées. Mais quid du reste ?
On pourrait attendre de l’État qu’il donne l’exemple aux propriétaires privés et fasse appliquer une gestion exemplaire de ses forêts, en futaie irrégulière pour produire des gros et très gros bois de qualité pour une économie à haute valeur ajoutée. Ce n’est pas le cas. En fait, le piège tendu aux ONG par les tenants du discours du développement durable est qu’il est délicat de s’opposer à l’utilisation croissante de bois, matériau renouvelable s’il en est. Si on ne voit plus la nature que sous l’angle de ses usages multiples et de l’utilisation de ses ressources, ce que les États-Uniens appellent « l’enviro-ressourcisme », il n’y a plus beaucoup de place pour la défense de la nature en tant que telle. Renouvelable, le bois ? Bien sûr. Mais les vieilles futaies seront « renouvelées » en jeunes forêts, et la nature n’y trouvera jamais son compte !

Ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine de la forêt, dernier refuge de nature dans notre pays, donne raison au journaliste Fabrice Nicolino, qui a dénoncé les associations ayant participé au Grenelle, les accusant d’être « cogestionnaires du grand massacre en cours » car elles n’empêcheront pas « la machine de guerre » du tout-économique devenue incontrôlable (voir aussi p. 28). À l’image de ce qui s’est passé dans le syndicalisme, le temps de la négociation pourrait être suivi d’une période de radicalisation. Et il ne serait pas étonnant de voir surgir bientôt des actions d’« éco-sabotage » parce que la concertation aura été jugée complice des destructions et que l’espace laissé à la nature sera devenu encore plus étriqué.
Finalement, qu’a obtenu FNE pour avoir signé cet accord ? Un parc national en forêt de plaine, mais dont la gestion reviendra… à l’ONF. C’est comme si on laissait au chat la garde des souris.
Pour ne plus cautionner un mauvais accord, qui s’avère être la chronique d’une défaite annoncée, il est encore temps de dire clairement ce « niet ! » radical que préconisait le grand naturaliste François Terrasson.

Écologie
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