Drogues : réduire les risques malgré les tabous

La 21e conférence internationale de réduction des risques liés à l’usage de drogues s’est tenue à Beyrouth, pour la première fois dans un pays du Moyen-Orient. L’occasion d’un état des lieux dans cette région du monde.

Olivier Doubre  • 21 avril 2011 abonné·es
Drogues : réduire les risques malgré les tabous

La Conférence internationale de réduction des risques liés à l’usage de drogues s’est tenue du 3 au 7 avril à Beyrouth. Pour la première fois de son histoire, l’organisateur, l’International Harm Reduction Association (Association internationale de réduction des risques) avait choisi le Moyen-Orient. Il souhaitait sans doute montrer que la politique de réduction des risques (RdR) en direction des usagers de drogues continue de s’étendre dans le monde, en particulier dans les sociétés musulmanes. La question de la consommation de drogues y demeure particulièrement taboue (voir ci-dessous les témoignages de jeunes Libanais), mais les programmes de réduction des risques s’y multiplient, à en croire bon nombre d’interventions. L’édition 2010 de la Conférence, à Liverpool, s’était concentrée sur la remise en cause de législations strictement répressives en matière de drogues, jugées non seulement inefficaces mais également dommageables du point de vue sanitaire.

L’édition 2011 a privilégié les expériences sur le terrain. Et ce, notamment en direction de populations spécifiques : usagers de drogues par voie intraveineuse, jeunes consommateurs de psychostimulants, sex workers , usagers incarcérés, personnes co-infectées VIH-hépatites, précaires vivant dans la rue consommateurs de drogues, etc. La réduction des risques est une politique aujourd’hui reconnue à l’échelle de la planète : simple distribution de matériel stérile et de préservatifs ou échange de seringues en Afghanistan, accès aux traitements de substitution dans certains pays d’Asie du Sud-Est ou en Iran (qui admet le ­chiffre d’un demi-million d’héroïnomanes sur son sol, dont 100 000 séropositifs), programmes dans les prisons notamment au Maroc, où la RdR semble progresser rapidement… Elle compte de moins en moins ­d’opposants, et si le regard porté sur les usagers de drogues reste un frein à son développement, l’urgence sanitaire que constituent le VIH et les hépatites virales force les États à trouver des réponses pragmatiques.

Ceux qui semblent les moins prêts à affronter les questions du sida et de l’usage de drogues sur leur territoire se voient renvoyer un nombre croissant d’études épidémiologiques concluant à une progression de la prévalence du sida dans leurs populations. Les contaminations des usagers de drogues, en particulier par voie intraveineuse, sont de mieux en mieux documentées. Ainsi, la chercheuse libanaise en santé publique, Ghina Mumtaz, a-t-elle présenté, lors de la conférence, les conclusions d’un impressionnant travail sur tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, de l’Afghanistan jusqu’au Maroc. Dans ce vaste ensemble ­géographique, certains pays comme la Syrie, l’Arabie Saoudite, la Libye ou la Jordanie feignent encore de nier l’existence du sida ou de l’usage de drogues à l’intérieur de leurs frontières.

Les données y sont donc absentes ou très partielles. Malgré cela, l’épidémiologue a montré que le taux de prévalence du VIH chez les usagers n’avait cessé de progresser au cours de la dernière décennie dans cette zone, même s’il reste toujours plus faible que dans d’autres régions du globe, comme l’Asie centrale ou la Russie – où il est l’un des plus élevés du monde. En Afghanistan, en Iran, au Pakistan, à Bahreïn, en Tunisie et en Égypte, la hausse de la prévalence du VIH est même particulièrement nette, en particulier chez les usagers de drogues par voie intraveineuse. En Égypte, il était de 0,6 % en 2006, et il a bondi à plus de 7 % en 2010. C’est ce qui a poussé Ghina Mumtaz à appeler publiquement à une prise de conscience. La chercheuse a recommandé dans ces pays, longtemps volontairement aveugles, la « mise en place rapide de programmes de prévention et de dépistage ». À la surprise de certains, plusieurs intervenants ont souligné que l’Iran et l’Aghanistan sont sans doute deux des pays musulmans à avoir adopté des approches parmi les plus ­pragmatiques. Par exemple, en autorisant ou en développant eux-mêmes des programmes d’échanges de seringues et d’accès aux traitements de substitution (méthadone et buprénorphine en Afghanistan, teinture d’opium pour l’Iran).

Cette 21e conférence a donc permis aux acteurs de la réduction des risques de mieux connaître la situation des usagers de drogues au Moyen-Orient et d’en savoir plus sur l’implantation de cette politique dans la région. L’édition 2011 s’est conclue par un appel à tous les responsables publics de la planète à contribuer davantage encore au développement de cette politique. À la suite de la récente déclaration de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, il s’agit aussi d’abandonner à son profit une vision strictement prohibitionniste de l’usage des drogues, jusqu’ici hégémonique, pour une politique plus raisonnée. Une politique fondée non sur une idéologie, mais sur des résultats.

Société
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