Face cachée

Une histoire du masque dans le théâtre contemporain.

Gilles Costaz  • 7 avril 2011 abonné·es

Le théâtre contemporain utilise peu le jeu masqué. Du moins peut-on le penser. Un essai-album de Guy Freixe, les Utopies du masque sur les scènes européennes du XXe siècle , vient nous prouver que ce style-là a représenté, et représente, des chemins importants parmi les aventures scéniques de l’époque moderne. Le livre paraît dans la collection « les Voies de l’acteur », dirigée par Patrick Pezin, chez un éditeur de Montpellier, L’Entretemps. Quant à l’auteur, Guy Freixe, il nous était plus connu comme metteur en scène. Issu du théâtre du Soleil, il a créé la compagnie du ­théâtre du Frêne, et on lui doit un certain nombre de spectacles enlevés, d’un éclat généreux.

Jean-François Dusigne, l’historien qui a préfacé le livre et dirigé la thèse de doctorat préliminaire à la rédaction de l’essai, pense, lui, que le jeu masqué a servi, de façon minoritaire, le théâtre littéraire : « Force est de constater que la théâtralité occidentale moderne n’a pas trouvé dans le masque appui à son développement… Pour comprendre à la fois les utopies portées par le masque et le reflux actuel de celui-ci dans les pratiques scéniques, Guy Freixe ouvre la réflexion sur des domaines du savoir qui touchent à nos modes de pensée et à la place occupée en premier lieu par le sacré… Il distingue les masques au pouvoir de mort, qui viennent projeter les feux changeants de notre angoisse existentielle, et les masques au pouvoir de vie, qui insufflent la subversion, à condition d’accepter de dévoiler quelques pans secrets de soi-même, à explorer. »

Le parcours tracé par Freixe est énorme. Il commence avec l’Anglais Gordon Craig, pour qui le jeu passe par le masque et l’acteur « sur-marionnette » . Il continue avec le Bauhaus, en Allemagne, et avec Copeau, en France. Les figures et les règles de la commedia dell’arte sont continuellement interrogées et réinventées dans toute l’Europe, grâce à Strehler et à tant d’autres. Tandis qu’Artaud se réfère obstinément aux codes du spectacle balinais, les formes de théâtre japonais hantent auteurs (Claudel) et artistes (Barrault). En Allemagne et en France, Benno ­Besson donne une nouvelle vie au jeu masqué, entre le fantastique et l’ironique. Et vient le théâtre du Soleil, que Freixe a connu de l’intérieur et auquel il consacre de longs développements, parlant de « la puissance archaïque du masque ».

Ce fut une longue quête puisque les entretiens qui composent la seconde partie de l’ouvrage ont été commencés dans les années 1980. Barrault, Lecoq, Decroux, Besson ne sont plus là. Pourtant, ils s’expriment dans ce bel ensemble de témoignages où sont consignés aussi les propos d’Hélène Cixous, de Mario Gonzalez, d’un fabricant de masques comme Werner Strub et d’acteurs comme John Arnold – qui a cette jolie formule à propos du temps où il jouait les Shakespeare montés par Ariane Mnouchkine : « Le masque en savait plus que moi. »

Pour Freixe, l’avenir du masque est grand, puisqu’il combine « psyché » (l’expression des sentiments) et « protée » (la métamorphose). La somme, très illustrée, que Freixe a composée restera comme un ouvrage d’histoire et de propositions. C’est aussi un manifeste indirect contre le narcissisme de l’acteur : masqué, le comédien ne peut être tourné sur lui-même. Ce qui frappe, enfin, au terme de cette rétrospective, c’est que le masque antique n’inspire plus guère les artistes d’aujourd’hui. Ce sont les modèles asiatiques, africains, italiens et cubistes qui inspirent les visages de cuir contemporains.

Culture
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