Vous aimez l’info ? Financez-la !

« J’aime l’info », plateforme de soutien à la presse en ligne, fait le pari d’un nouveau mode de financement de l’information indépendante sur le web, s’appuyant sur le lecteur. Explications.

Xavier Frison  • 14 avril 2011
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Vous aimez l’info ? Financez-la !

Et si l’abonnement ou l’achat d’un journal, papier ou web, n’était plus le seul moyen de participer au financement de votre titre de presse préféré ? Avec jaimelinfo.fr, un projet chapeauté par une association à but non lucratif, la fine équipe du site Rue89 fait le pari du « crowdfunding » , littéralement le « financement par la foule » de la presse en ligne indépendante.

Le principe est simple : l’internaute ­choisit un ou plusieurs sites parmi la grosse centaine de titres présents sur la plateforme de dons. Là, deux possibilités : soutenir financièrement un projet, comme un reportage, une enquête, voire de nouvelles fonctionnalités sur le site, ou abonder directement les caisses du titre, chaque mois ou une seule fois, pour participer à son développement global. La fourchette de dons suggérés va en général de 5 à 50 euros, avec des paliers intermédiaires. En contrepartie, charge à l’éditeur d’associer au plus près les donateurs aux projets. Cela peut inclure l’envoi d’une newsletter quotidienne et exclusive pendant le reportage financé ou la publication du résultat final en avant-première pour les donateurs, comme le prévoit Politis.fr.

Avec, à chaque fois, le souci de créer un lien nouveau entre le lecteur et les journalistes. Le premier n’achète plus un « produit fini », mais intervient dès le début du processus. Il choisit le sujet ou le projet qu’il veut soutenir et en accompagne toute la genèse. Les seconds ne travaillent plus seuls dans leur coin mais partagent les étapes de leur travail et échangent avec les donateurs pendant toute la durée du projet.

Une perspective qui réjouit déjà un journaliste dont le site a soumis un grand reportage à financement : « En informant au jour le jour les donateurs du projet, on va pouvoir faire vivre quasiment en direct la réalisation du reportage, les découvertes faites au fil de l’enquête, les imprévus et les petites galères, comme il y en a toujours sur le terrain. C’est très différent d’un blog puisqu’on dialoguera exclusivement avec la petite communauté qui a cru au projet et l’a très concrètement porté. »

Lancé le 28 mars, J’aime l’info s’inscrit dans la lignée d’un concept né au mitan des années 1990, avec l’arrivée d’Internet. Ce sont d’abord les sportifs amateurs qui inaugurent le procédé, sur le modèle : « Si je franchis la ligne d’arrivée de ce marathon, je donne 500 euros à la Croix-Rouge. Aidez-moi à financer cette somme. » En parallèle, naît une autre tendance venue des pays anglo-saxons, le financement de médias ou de journalistes indépendants par la philanthropie, via mécènes, fondations et autres bonnes œuvres. Les années 2000 voient émerger le « journalisme participatif ». Tout un chacun peut commenter un article, y apporter précisions ou démentis, témoigner, suggérer de nouvelles pistes d’enquête et participer ainsi à la production de l’information.

Aujourd’hui, la dernière étape de l’intégration du lecteur dans le processus de fabrication et de diffusion de l’information est franchie : « Il peut maintenant en devenir un acteur financier » , résume Frédéric Bardeau, spécialiste de la « levée de fonds » sur Internet et cofondateur de l’agence Limite. « L’intérêt est bien sûr financier, mais il s’agit aussi de tisser des liens nouveaux avec les lecteurs » , précise Laurent Mauriac, cofondateur de Rue89 et chef de projet de J’aime l’info. Des lecteurs-donateurs dont les contributions restent encore timides. Au 11 avril, les projets soumis à financement par Rue89 avaient collecté 80 euros sur 7 000 euros, ceux de Mediapart 35 euros sur 5 000, Arrêt sur images 123 euros sur 5 000 et Politis, le site le mieux loti pour l’instant, 235 euros sur 2 500. « Globalement, c’est modeste , admet Laurent Mauriac. Mais maintenant que le lancement de la plateforme est effectif, c’est aux éditeurs de prendre les choses en main. À eux de donner envie aux lecteurs et de les associer à leurs projets. »

« Dans un tout autre secteur qui fait appel à ce mécanisme depuis longtemps , explique Frédéric Bardeau, les ONG ont déjà du mal à mobiliser les donateurs pour de grandes causes mondiales de solidarité comme le Japon en ce moment. Alors, à l’échelle d’un site d’info ou d’un projet éditorial… » On le sait, « monétiser » du contenu sur Internet est une gageure. Et placer un logo sur son site ne suffit pas à faire couler les sesterces à flots : « Demander de l’argent, c’est un métier, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton » , résume, un rien provoc’, Frédéric Bardeau. La nature même du média joue : un modèle de site gratuit fondé sur le « journalisme participatif » bénéficiera peut-être d’une audience plus encline à mettre la main à la poche qu’un média en ligne accessible par abonnement. Pour tous, pédagogie et clarté s’imposent, surtout dans le cas d’un procédé novateur dans la presse.

Une bonne connaisseuse du secteur du financement par le don fronce les sourcils en naviguant sur J’aime l’info : « Le site est simple et son objet bien présenté, mais il se disperse en s’ouvrant à trop de sites parfois exotiques, plutôt que de réserver sa plateforme aux sites d’actualité généraliste, par exemple. L’internaute-donateur peut être déstabilisé par ce foisonnement de sites sans grand rapport entre eux. » Du côté de J’aime l’info, on assume le rôle de plateforme ouverte à toutes sortes de sites d’information – après validation par l’équipe éditoriale – en rappelant que ce sont les éditeurs, depuis leurs propres pages, qui ­doivent générer l’essentiel du trafic et des dons.

Après quelques semaines de fonctionnement, tirer des conclusions sur l’avenir de J’aime l’info serait prématuré. Ailleurs, cependant, le concept a déjà trouvé son public. Le site américain Spot.us, projet à but non lucratif soutenu par plusieurs fondations, est spécialisé dans le financement communautaire de reportages indépendants. Spot.us compte près de 10 000 contributeurs et une centaine de médias partenaires ayant déjà publié des reportages financés par les internautes. Plutôt encourageant pour le futur de la presse indépendante, dans un secteur toujours plus contraint par le diktat des annonceurs publicitaires et des banquiers, groupes industriels, fonds d’investissement ou marchands d’armes grimés en bienveillants actionnaires.


→ Soutenez le prochain reportage de Politis.fr en Amérique du Nord, à la rencontre des victimes de l’exploitation des gaz de schiste et des militants opposés à cette technique destructrice.

Politis.fr


Temps de lecture : 6 minutes
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