Ils reprennent le maquis !

Le week-end dernier, plusieurs milliers de citoyens se sont rassemblés au plateau des Glières, en Haute-Savoie, pour célébrer les résistances d’hier et d’aujourd’hui.

Pauline Graulle  • 19 mai 2011 abonné·es

«Non aux envahisseurs. » Trois mots peints sur la roche qui borde les virages en épingle à cheveux. Manifestement, les « gauchistes » ne sont pas les bienvenus sur la route qui mène au plateau des Glières. « L’année dernière, il y avait des slogans à la gloire de Sarko, s’amuse Gilles Perret, cofondateur de l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, qui organise le rassemblement sur ce haut lieu de la Résistance. Vous savez, en Haute-Savoie, les gens sont plutôt très à droite. » N’en déplaise aux mécontents, c’est ici, chaque mois de mai depuis cinq ans, qu’anciens et nouveaux résistants ont élu domicile. Ceux qui, hier, se sont battus contre la barbarie nazie dans la France de Vichy y rencontrent ceux qui, aujourd’hui, luttent contre la barbarie néolibérale dans la France de Nicolas Sarkozy.

À un an de la présidentielle, il s’agit de parler de l’avenir et de lancer un appel (à lire en ligne sur le site Politis.fr) signé par une dizaine de résistants et soumis aux futurs candidats. Mais aussi de s’inspirer du passé. Plus particulièrement des valeurs portées par « les jours heureux » de l’après-guerre, lorsque naquit le programme du Conseil national de la Résistance (CNR). D’où ce « pèlerinage républicain » sur le plateau des Glières où, soixante-sept ans plus tôt, 129 maquisards furent fusillés par les Allemands.

Ce dimanche, ils sont entre 3 000 et 5 000, étudiants, retraités ou travailleurs, venus seuls ou en famille, de Tourcoing, d’Annecy, de Marseille, de Paris. Militants associatifs, syndicaux et politiques, simples citoyens… Tous se tiennent, stoïques, sous une tempête de neige (oui, nous sommes bien le 15 mai !). Des centaines de capuches et de parapluies tournés vers l’immensité des montagnes. Avec, au centre, une minuscule estrade sur laquelle Walter Bassan, 84 ans, déporté à Dachau quand il était adolescent, s’échine à réchauffer les cœurs : « Nous sommes ici, dans ce lieu symbolique, pour se rappeler les idéaux de la Résistance et réveiller les consciences. » Et elles sont d’ores et déjà bien alertes si l’on en croit la ferveur des spectateurs, tout à leur joie de constater qu’ils ne sont pas seuls dans la bataille.

À son tour, Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, galvanise la foule. Après avoir voulu « transformer les morts en bulletins de vote » en s’emparant des Glières lors de la campagne présidentielle de 2007 (voir p. 23), c’est aussi dans cette région, rappelle-t-il, que Nicolas Sarkozy présenta sa sinistre conception de l’identité nationale. Et aussi le « discours de Grenoble » sur les Roms et l’immigration : « C’est en amont que se prépare ce qui rend possible l’innommable, scande-t-il. Cette époque-là, elle sent vraiment les années 1930… N’attendons pas que l’histoire se répète ! »

Quel meilleur antidote que les histoires de vies et de luttes, pleines d’optimisme et d’enthousiasme, qui défilent à la tribune ? Il y a ceux qui se battent contre les puissances de l’argent : les caissières des supermarchés ED à Albertville, en grève contre le travail dominical. Ou ce paysan qui, seul contre tous, est entré en guerre contre le géant du lait Lactalis. Il y a aussi ceux qui usent de méthodes coups-de-poing pour interpeller les politiques. Comme les deux trentenaires du collectif Jeudi noir, ces « résistants avec un petit r » qui rappellent que, pour faire des «  rêves  » « au creux des lits » , il faut déjà avoir un toit. Et qu’entre le vendeur d’armes Serge Dassault, biberonné aux commandes publiques, et un allocataire du RSA, «  l’assisté  » n’est pas toujours celui qu’on croit… Coup de projecteur enfin, sur les révolutions arabes, avec l’intervention de Radhia Nasraoui, avocate et militante pour la démocratie (voir page suivante), venue expressément de Tunis pour témoigner qu’ « une révolution ne se fait pas d’un coup de baguette magique » . Des paroles qui résonnent dans les forêts de sapins entourant la scène…

La veille, à une poignée de kilomètres en contrebas du plateau des Glières, l’ambiance était un peu moins solennelle. Dans le joli village de Thorens, cerné par les montagnes, la pluie, tombée en trombes tout le samedi, n’a pas réussi à éteindre le tempérament de feu des 2 000 personnes réunies pour une journée d’échanges autour de la Résistance. Une dizaine de stands ont pris place sous les chapiteaux. On y retrouve pêle-mêle la joyeuse bande du comité en lutte contre l’organisation des JO à Annecy, les femmes (et un homme) d’Osez le féminisme !, ou encore des travailleurs sociaux du conseil général qui refusent de transmettre les données des personnes qu’ils reçoivent…

Dans la grande salle, les participants s’entassent tant bien que mal pour assister à la table ronde sur les résistances au travail. Autour de la table, le « Conti » Xavier Mathieu arbore un T-shirt noir barré du « A » d’« anarchie ». À ses côtés, le réalisateur Gérard Mordillat et l’ancien syndicaliste qui mena la fronde chez les Lip, dans les années 1970, Charles Piaget. Petit homme discret mais espiègle, qui distille avec une intelligence infinie ses conseils pour créer du collectif, si ­discrédité de nos jours, et pourtant, seul moyen d’introduire un peu de démocratie au sein de l’entreprise.

Au même moment, les profs désobéisseurs tiennent meeting sous une large tente pleine à craquer. Dans l’assemblée, des futurs profs « victimes de la masterisation » , des psys qui s’alarment du fichage des enfants, des parents d’élèves inquiets des 16 000 suppressions de postes prévues l’année prochaine… « Si nous sommes complémentaires, les syndicats d’enseignants sont en retard d’une bataille, estime Alain Refalo, professeur des écoles désobéisseur en Haute-Garonne. Les organisations classiques ne permettent pas de créer des rapports de force suffisants avec un pouvoir qui a tiré les enseignements des mouvements traditionnels ! » Manifestations de rue et grève ne suffisent plus. Les salaires des enseignants, non payés en cas de grève, en pâtissent, et les derniers mouvements de ce type ont été des échecs. Stéphane Hessel avait prévenu : résister, c’est créer. Créer, c’est résister…

Ce n’est pas l’économiste Frédéric Lordon qui dirait le contraire. Ce génial pédagogue, qui vient de terminer une pièce de théâtre en alexandrins sur les dérives de la financiariation de l’économie [^2], est entré dans un savoureux jeu de ­questions-réponses avec une salle aussi bondée qu’électrisée. Thème de la séance : la nationalisation des banques. Et Lordon de fustiger, sous les éclats de rire, le «  canard sans tête   » qu’est devenue la gauche de gouvernement. Si la question ne sera (hélas ?) pas tranchée durant le week-end, c’est bien la possibilité, ou non, d’une alternative politique qui est dans toutes les têtes. Le « DSK Gate » révélé le dimanche matin, fera sourire plus d’un participant, ravivant même, chez certains, l’espoir qu’une gauche un peu moins droitière émerge d’ici à 2012. Alors, qui sait, les jours heureux reviendront…

[^2]: D’un retournement l’autre, comédie sérieuse sur la crise financière en quatre actes et en alexandrins, Seuil.

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L'image d'un naufrage
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