Perturbateurs politiques

Les phtalates et d’autres substances ont été bannis par les députés, avec l’appui d’élus de droite.

Patrick Piro  • 12 mai 2011 abonné·es

Surprise de taille : les députés viennent de voter ni plus ni moins que l’interdiction en France de « la fabrication, l’importation, la vente ou l’offre de produits » contenant des phtalates, des parabènes et des alkylphénols. Perturbateurs endocriniens, ces substances sont fortement soupçonnées de provoquer des malformations congénitales, la baisse de la fertilité humaine et l’explosion de maladies chroniques (cancers, entre autres). On les rencontre dans un grand nombre de produits – cosmétiques (parabènes), plastiques souples (phtalates), insecticides et détergents (alkylphénols). Pourtant, il s’agissait d’une simple proposition de loi, déposée contre l’avis du gouvernement et de l’UMP : elle était promise, comme tant d’initiatives audacieuses, aux oubliettes parlementaires.

Ce qui reste d’ailleurs son probable destin : le gouvernement garde le recours de ne pas soumettre la proposition au Sénat. Elle est « injustifiée scientifiquement, inapplicable en pratique et inappropriée juridiquement » , a violemment réagi l’industrie du plastique, et « prématurée » , juge le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, qui renvoie à la publication de futurs rapports d’expertise (pas avant deux ans au moins).

Vain coup d’éclat ? Opportunisme politique ? L’initiative était portée par un député Nouveau Centre (NC) – Yvan Lachaud (Gard) –, qui reconnaissait que le texte méritait d’être affiné, et ne s’attendait pas à un tel succès : 236 votes favorables contre 222, grâce au PS, au PCF, au centre et, surtout, à 19 voix décisives de l’UMP, alors qu’une fraction de la droite se cabre actuellement contre la majorité et le gouvernement. « Pourtant, ce vote est tout sauf un accident, estime André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES). À l’instar de la contestation des gaz de schiste, l’écologie parvient à s’imposer aussi bien à droite qu’à gauche. Ce vote révèle une prise de conscience sanitaire, qui transcende les clivages politiques. »

Il en veut pour preuve l’argumentaire endossé par le député NC, qui juge que les soupçons croissants sur le rôle de ces substances imposent d’agir en urgence. À l’encontre des thèses toxicologiques classiques (c’est la dose qui fait le poison), il met en avant le risque de l’exposition chronique à de faibles quantités, l’« effet cocktail » (impacts potentiels démultipliés en présence de plusieurs perturbateurs endocriniens), ainsi que la susceptibilité exacerbée à certains moments de la vie (stade fœtal, entre autres).

Coïncidence : le 3 mai, alors que les députés votaient, ils justifiaient sans le savoir la publication par une coalition d’ONG d’une nouvelle liste de substances « à substitution immédiate nécessaire » [^2] : y figurent 22 perturbateurs endocriniens supplémentaires.

[^2]: Au sens du règlement Reach de l’Union européenne, voir www.chemsec.org

Écologie
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