Syrie : « C’est avant tout un mouvement social »

Journaliste algérien, collaborateur du Monde et de France Culture, Khaled Sid Mohand a été détenu 23 jours et tenu au secret au QG des services secrets syriens à Damas. Il décrypte ici la situation.

Denis Sieffert  • 19 mai 2011 abonné·es
Syrie : « C’est avant tout un mouvement social »
© Photo AFP / STR

**Politis : Dans quelles circonstances le mouvement de contestation a-t-il commencé en Syrie ?

Khaled Sid Mohand :** Cela a commencé par l’arrestation de gamins de 14 ans qui avaient écrit des graffitis sur les murs à Deraa, au sud du pays. Ces enfants ont été horriblement torturés. La colère a gagné la population de cette ville, en premier lieu des Bédouins dans cette région agricole.

Qui sont les manifestants ?

Contrairement à l’Égypte et à la Tunisie, ce ne sont pas des jeunes intellectuels qui ont eu l’initiative. C’est véritablement un mouvement social.

Le pouvoir a tenté de faire croire que les islamistes étaient derrière ces mouvements…

C’est ridicule. Il est vrai que tout se passe à partir des mosquées, simplement parce que ce sont les seuls lieux où les rassemblements sont permis. Ce sont des gens qui fréquentent les mosquées, ou les églises. Ce qui est la marque des classes moyennes et d’une population de condition modeste, et non d’intellectuels pouvant être athées. Il est vrai aussi que l’un des mots d’ordre est : « Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu. » Mais ce n’est pas un mot d’ordre islamiste. C’est un mot d’ordre très politique, et très critique à l’égard du pouvoir, mais en creux, et qui veut dire « le pouvoir n’est pas au-dessus des hommes » . On a beaucoup entendu aussi : « La Syrie, la liberté, et c’est tout ! » Ce sont des slogans d’une puissance politique incroyable. J’étais moi-même dans la mosquée des Omeyyades quand la sécurité a réprimé les manifestants, et je peux vous dire qu’il n’y avait aucun salafiste. Il ne faut pas confondre une population traditionaliste et le fondamentalisme.

Comment expliquer l’attitude de Bachar Al-Assad, réputé plus humain que son père, et réformateur ?

Bachar avait une véritable aura dans la population. Les premières manifestations ne lui étaient pas hostiles. Beaucoup pensaient au contraire qu’il fallait soutenir Bachar « le réformateur » . On a pu penser que la répression était le fait de services de sécurité locaux qui avaient acquis une certaine autonomie par rapport au pouvoir central. Mais le discours de Bachar a provoqué une immense déception. Il se confirme que, dans les situations de crise, le clan familial se resserre et se cimente.

Quels sont aujourd’hui les objectifs du mouvement ?

Ils ont évolué. C’est aujourd’hui clairement la chute du régime qui est demandée. Ce qui n’était pas le cas au début. En même temps, les manifestants parlent plutôt de « poser les jalons de la démocratie ». On n’exige pas immédiatement la démocratie, notamment parce que le mot est porteur de valeurs ambiguës. La démocratie, en Syrie, est associée aux antagonismes communautaires au Liban et à la situation en Irak. Des milliers de chrétiens irakiens ont émigré en Syrie, et leurs récits d’affrontements communautaires ont profondément marqué la société syrienne.

Les revendications s’expriment plutôt négativement. On sait ce qu’on ne veut plus : l’arbitraire des services de sécurité, le parti unique, l’absence de droit. Certains manifestants se réclament du parti Baas, le parti de Bachar. Mais, le parti Baas ramené à ses origines sociales et éventuellement panarabistes.

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