Fin de partie au Théâtre de l’Est parisien

Le TEP est supprimé, la belle aventure s’achève.
Sa directrice, Catherine Anne, fait ses adieux avec Comédies tragiques.

Gilles Costaz  • 23 juin 2011 abonné·es

Dans quelques jours, c’en est fini du glorieux Théâtre de l’Est parisien ! Guy Rétoré l’avait créé en 1963, Catherine Anne l’avait repris en 2002 en lui donnant une autre mission, tournée vers la création de textes modernes et les spectacles pour le jeune public. Le ministère de la Culture le supprime froidement et donne les locaux à une autre structure, au demeurant intéressante et utile, le Tarmac, que dirige Valérie Baran. Catherine Anne s’en va à sa façon, qui est de parler peu elle-même et de passer par la fiction. Elle termine ainsi son mandat par une pièce de son cru, Comédies tragiques, qui est, en partie, une réplique au dédain affiché à son égard par le ministère de la Culture.


Ces Comédies tragiques sont une série de scènes que Catherine Anne a placées dans un décor où se font face l’art chic des colonnes de Buren et le cadre de vie des barres d’immeubles. L’adresse aux potentats de la culture reste secondaire. C’est la folie de nos sociétés de plus en plus kafkaïennes que l’auteur détaille en lâchant ses personnages dans la rue, à La Poste, à Pôle emploi, à l’école, dans une chambre à ­coucher, tout en se moquant (gentiment) des théâtres où l’on joue trop les classiques, relatant en pointillé le sort d’un « grand théâtre » qui va disparaître. Parallèlement, des parents s’inquiètent d’un enfant qui ne dort plus parce qu’il a entendu qu’on allait « supprimer des instituteurs ». Il imagine son maître liquidé manu militari  ! Quatre comédiens, Fabienne Lucchetti, Thierry Belnet, Stéphanie Rongeot et Damien Robert, se mettent joliment en dix, vingt, trente, pour incarner ces passants d’un monde où tenir son rôle citoyen devient de plus en plus difficile. Catherine Anne sait merveilleusement être tendre et cinglante en même temps. Quel bel adieu !


Politis : Après la dernière 
de Comédies tragiques le 25 juin, il n’y aura donc plus de Théâtre de l’Est parisien…


Catherine Anne : Oui. Le Tarmac, qui est à La Villette, vient s’installer. Sur son arrivée, cette structure communique peu pour l’instant. Si l’on additionne le nombre de personnes travaillant au Tarmac et au TEP, il est évident qu’il y aura des licenciements. C’est une étrange passation de pouvoir : une équipe vient s’emparer d’un lieu plus grand ; ce n’est pas la transmission d’un théâtre d’un artiste à un autre.
Je trouve normal qu’on remplace un directeur, et il est bien naturel que je m’en aille, mais j’estime invraisemblable que l’État ne charge pas un nouvel artiste de ce projet que nous avons porté : la priorité aux auteurs contemporains et le théâtre pour le jeune public, un domaine qui est à Paris incroyablement pauvre. La Ville de Paris ne nous a d’ailleurs jamais apporté son soutien. Ce type de passation, avec un théâtre qui est remplacé par un autre, je crois que ce n’était jamais arrivé. Qu’on détruise ce qui a fait la réussite de notre entreprise, je trouve ça violent.

Vous aviez obtenu de prolonger l’activité du Théâtre de l’Est parisien pendant une saison supplémentaire. Quelle a été l’attitude du ministre ?


En avril 2010, quand il a appris par un article de Politis que le Théâtre de l’Est parisien allait disparaître, Frédéric Mitterrand m’a appelée. Lors de notre rencontre, il m’a accordé cette saison supplémentaire et m’a dit : « On me fait faire des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. » Je l’ai revu plusieurs fois ensuite, il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas revenir sur la décision prise. Il avait laissé entendre qu’on pouvait encore réfléchir, mais le projet a été court-circuité en quelques semaines. Il m’a envoyé des petits mots amicaux, mais j’ai vite compris que les petits mots manuscrits ne valent pas une lettre officielle. Blessée, j’ai écrit une lettre dont on m’a reproché le ton. J’ai aussi été conviée à l’Élysée, mais je pense que c’était pour mesurer mon éventuel pouvoir de nuisance. Je pourrais écrire un petit roman sur le ministère, ce drôle d’endroit de pouvoir et de séduction !


Dans quel état d’esprit partez-vous et comment va se passer votre départ ?


Je pars contente de toutes les choses données et reçues pendant neuf ans. Je suis heureuse d’avoir pu terminer avec la création de ma pièce, Comédies tragiques. J’espère que mon personnel bénéficiera de protocoles corrects. Mais je suis désolée de tout ce gâchis. À la fin du mois, je ferai ce qu’il est légal de faire : vendre à ma remplaçante mes parts de la SARL Théâtre de l’Est parisien, donner ma démission et recevoir ma révocation par la nouvelle gérante. Je reprends ma compagnie À brûle-pourpoint, qui aura un subventionnement de trois ans. J’espère pouvoir faire tourner ma dernière pièce et j’écrirai plus, sans la charge extraordinaire que représente la direction d’un théâtre. Et je reprendrai sans doute le statut d’intermittente du spectacle.
Propos recueillis par Gilles Costaz

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