Le jumeau d’Aristophane

Le dramaturge marseillais
Serge Valletti a entrepris de traduire tout le théâtre du comique grec.
À sa guise, bien entendu.

Gilles Costaz  • 30 juin 2011 abonné·es

Serge Valletti, dont on sait qu’il est une sorte de Beckett marseillais — mais il dilate à l’infini la parole alors que l’auteur de Godot la comprimait jusqu’au mutisme –, a entrepris une tâche colossale : traduire, ou plutôt transposer, toutes les comédies qui nous restent d’Aristophane, soit onze pièces qui nous sont aussi claires que mystérieuses de par leur rire dionysiaque et leurs comptes réglés avec une actualité disparue.


Valletti a déjà consacré quelques années à cette folle transcription, et il n’est pas encore de l’autre côté du gué. Son marathon de réécriture et de représentations, il l’a appelé Toutaristophane et cherche lui-même les partenaires qui acceptent de s’impliquer dans une aventure follement antique et follement moderne. Le premier organisme à répondre à l’appel a été le festival des Nuits de Fourvière, que dirige, à Lyon, Dominique Delorme. Dès le départ, la chose s’avère séduisante, d’autant plus que les deux premières mises à feu ont eu lieu dans les musées gallo-romains de Fourvière et de Saint-Romain-en-Gal.


Notre jumeau d’Aristophane a appris le grec ancien et entrepris de vraies recherches historiques. Il est, par exemple, hanté par le fait que la première copie que nous ayons de toutes ces pièces date de la fin du Xe siècle de notre ère. Par quels canaux et avec quels tripatouillages ces textes ont-ils franchi le temps ? Aussi Valletti n’a-t-il pas voulu être archéologique ou universitaire. Il a voulu être compris du public d’aujourd’hui et il s’octroie toutes les libertés du poète. 


Fourvière a présenté deux premières comédies : Lysistrata, devenue la Stratégie d’Alice, et les Grenouilles, rebaptisées Reviennent les lucioles ! On voit que même les titres ont été chahutés, pour trouver l’esprit en se détachant parfois de la lettre. Il s’agissait, lors de ces soirées de la fin juin, de mises en espace orchestrées par Georges Lavaudant. Son équipe (Christiane Cohendy, Luc-Antoine Diquéro, Gilles Arbona, Jean-François Lapalus, André Marcon, Astrid Bas, Olivier Cruveiller…) faisait merveille dans le corps à corps avec les mots venus d’une criée imaginaire entre Athènes et Marseille.


Pour avoir une idée des libertés prises, on s’en tiendra à l’adaptation des Grenouilles. Aristophane y a imaginé une compétition post mortem entre Euripide et Eschyle. Chez Valletti, le duel se joue entre Fellini et Pasolini ! Souhaitons donc que Toutaristophane arrive peu à peu à bon port, car il faudra beaucoup de coproducteurs pour que s’incarne ce que le stylet inspiré de Valletti gratte mois après mois sur ses papyrus.


Sa passion d’un maître d’outre-tombe ne l’a pas empêché d’écrire parallèlement un beau roman, Spasmi studium, qui est, là aussi, une traversée du temps. Les personnages, parmi lesquels on pourra reconnaître l’auteur et son épouse, Muriel, pénètrent dans les entrailles de la ville et circulent entre autrefois et aujourd’hui. Cette plongée dans le passé juif et ésotérique de la Provence est difficile à raconter et délicieusement vertigineuse. Valletti, là et ailleurs, réinvente les couleurs des palabres perdues.

Culture
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