L’humanité confrontée à l’anthropocène

Jérôme Gleizes  • 30 juin 2011 abonné·es

L’être humain est devenu acteur géologique. Le 34e congrès géologique international de Brisbane va, en août 2012, décider si l’anthropocène succédera à l’holocène comme nouvelle époque géologique. Cette période chaude, vieille de dix mille ans, a remplacé le pléistocène, dont la fin s’est confondue avec celle du paléolithique. Elle a permis l’émergence des grandes civilisations. Après s’être adapté au climat, l’être humain est devenu un acteur majeur de son évolution. Au début de l’holocène, la température s’est élevée. Les précipitations ont augmenté en zone tropicale, entraînant une diminution des zones désertiques. Les zones habitables se sont décalées vers le Nord. Il y a huit mille ans, le Sahara était couvert de végétation. Une population de chasseurs-cueilleurs est partie à la conquête du monde, poussée surtout par le retour ultérieur du désert. Durant cette période, la faune et la flore ont peu évolué, seule la répartition des espèces a été fortement modifiée, avec une remontée vers le Nord en raison de la fonte des glaciers. Mais James Watt, en inventant la machine à vapeur en 1784, a peut-être radicalement modifié non seulement le devenir de l’humanité mais aussi celui de la planète.

Énergie et révolution industrielle sont intrinsèquement liées. Si la révolution industrielle est souvent considérée comme le passage historique d’une société agricole à une société industrielle, c’est surtout une meilleure maîtrise de l’énergie pour augmenter la productivité du travail. Par ses qualités chimiques, le pétrole a joué un rôle important dans l’augmentation de celle-ci. Il est devenu l’unité de mesure de référence avec la tonne équivalent pétrole. Mais la combustion du pétrole et de toutes les énergies carbonées amplifie l’effet de serre, accélérant l’émission de CO2. Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie indique que nous nous acheminons vers un réchauffement de plus de 4 °C. Nous entrons dans une zone d’incertitude radicale, due à l’irréversibilité des processus thermodynamiques. Les conséquences de cette situation sont inconnues, et pourtant nous continuons dans une fuite en avant. L’énergie nucléaire n’est pas exempte d’impact géologique. L’espérance de vie de certains déchets nucléaires est largement supérieure à celle des civilisations. Les accidents nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima vont laisser leur empreinte pour plusieurs générations. L’économiste ne peut rester indifférent à cette réalité. Le capital ne peut pas se réduire à du travail mort, d’où la nécessité d’un double calcul du PIB, en unités monétaires, d’une part, et en tonnes d’équivalent pétrole, d’autre part. Au-delà de la question des limites géologiques de notre modèle économique, se pose aussi la question de la modification des écosystèmes et notamment, peut-être, la responsabilité humaine de l’actuelle sixième extinction massive des espèces.

Fuite en avant ou transformation radicale de notre civilisation ? Le prix Nobel de Chimie 1995, Paul Josef Crutzen, inventeur du terme d’anthropocène, est aussi l’un des principaux défenseurs de la géo-ingénierie, c’est-à-dire de la modification humaine des climats. L’artificialisation du monde serait sans limites ! Plus de principe de précaution, le progrès sans limites. Cette artificialisation serait une solution aux limites de l’accumulation physique du capital, et de l’exploitation des êtres humains [^2]. Face à cette utopie dangereuse, il convient d’inventer une nouvelle société. Une dématérialisation de nos économies est aujourd’hui indispensable.

Dématérialisation n’est pas immatérialisation, car nous devons réduire de manière absolue notre consommation de ressources non renouvelables pour éviter tout effet rebond, assurer un découplage entre la production de richesse et la quantité de matière utilisée. Une relocalisation de nos productions est nécessaire. Cela passe par une territorialisation de nos économies. « Small is beautiful » , comme le défend l’économiste allemand Ernst Friedrich Schumacher dans son ouvrage majeur de 1973. Au lieu de la vision centralisatrice du nucléaire, il faut privilégier et mettre en place une production décentralisée énergétique. À l’acquisition des biens, il faut opposer un usage partagé de ceux-ci. Il faut remplacer une agriculture industrielle par une autre, soucieuse des cycles chimiques des sols…

[^2]: Lire le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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