Pour quelle planète ?

Thierry Brun  et  Jeanne Portal  • 7 juillet 2011 abonné·es

Ce qui les rapproche

La lutte contre le dumping social. Partisans de la démondialisation et altermondialistes partagent les mêmes craintes liées à la mise en concurrence de la main-d’œuvre européenne avec celle des pays en voie de développement. Arnaud Montebourg, qui a fait de la démondialisation son programme de candidat aux primaires socialistes, met en avant la lutte contre le dumping social : « La crise d’aujourd’hui est une crise de la mondialisation. Vouloir mettre en concurrence des ouvriers européens qui ont deux siècles de luttes sociales derrière eux et des paysans asiatiques qui sont prêts à être payés quarante fois moins cher, c’est absurde et dangereux. » Les défenseurs de la démondialisation sont tous favorables à des mesures visant à relocaliser l’économie en privilégiant les productions locales aux exportations. Mais le « périmètre » de relocalisation les divise.

Le courant altermondialiste met également en avant l’impératif de relocaliser l’économie. Dans une tribune publiée par Mediapart, certains membres de l’association altermondialiste Attac, parmi lesquels son coprésident, Thomas Coutrot (voir aussi page 20), estiment nécessaire de « réduire les flux de marchandises et de capitaux, et [de] relocaliser les systèmes productifs. Pour des motifs sociaux : stopper la concurrence entre travailleurs et paysans du monde, valoriser la diversité des savoirs et des pratiques sociales, assurer la souveraineté alimentaire […]. Pour des motifs écologiques : réduire les émissions de CO2, diminuer la pression sur les ressources naturelles et leur pillage. Pour des motifs politiques : retrouver des formes de démocratie proche des citoyens » .

La critique de la concurrence libre et non faussée. Les démondialistes comme les altermondialistes mettent en cause le dogme de la « concurrence libre et non faussée » défendu par l’Union européenne. Pour Arnaud Montebourg, « le développement d’un libre-échange sans aucune limite a précipité les Français – et l’Europe en général – dans une concurrence sans fin » . Le socialiste veut interdire certaines pratiques spéculatives en créant, par exemple, une taxe globale sur les activités financières, en interdisant les stock-options et en imposant un embargo sur certaines transactions… Alters et démondialistes se rejoignent aussi quand Frédéric Lordon parle de la mise en place d’une rémunération maximale autorisée : « La réduction des inégalités passe, […] au plan national, par une réforme fiscale instaurant un revenu maximum. »

Ce qui les oppose

La sortie de l’euro. Les alters estiment qu’une « monnaie nationale ne protège ni du néolibéralisme, ni de la spéculation, ni du productivisme : a-t-on vu quelque gouvernement britannique s’opposer au néolibéralisme du fait qu’il disposait de la livre sterling ? […] Et le capitalisme appuyé sur les “États souverains” n’a-t-il pas produit un modèle de consommation destructeur, pillé les pays du Sud et creusé la dette écologique du Nord ? » Conclusion : « S’il est urgent de “révolutionner” la maison Europe […], cela n’aura aucunement le même sens que le repli national qui se profile derrière la notion de démondialisation. »

À l’opposé, l’économiste Jacques Nikonoff, membre fondateur du Mouvement politique d’éducation populaire (M’Pep), ainsi que l’économiste Jacques Sapir pensent que démondialiser passe par une sortie de l’euro. « En d’autres termes , explique Jacques Nikonoff, c’est ce qui a existé en Europe sous la forme de l’écu. Les pays concernés par une monnaie commune conservent leur politique de monnaie nationale, mais, pour les transactions internationales sur les biens, services et capitaux, ont une unité de compte, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de monnaie (pièces, billets) mais des opérations comptables ; et chaque pays entretient avec cette monnaie commune une parité fixe mais révisable. »

Jacques Sapir défend l’idée qu’un gouvernement puisse suspendre unilatéralement les règles de circulation des capitaux, afin d’éviter la spéculation. Pour Frédéric Lordon, « la solution de la reconstitution nationale de souveraineté impose son évidence parce qu’elle a sur toutes les autres l’immense mérite pratique d’être là, immédiatement disponible » . Pour ces économistes, l’euro n’a actuellement aucune assise politique et sociale. Jacques Sapir explique que l’idée de démondialisation est de « revenir au cadre de l’État nation, seule source de démocratie » .

Arnaud Montebourg, qui s’est inspiré des réflexions du démographe Emmanuel Todd, fait entendre un son de cloche différent : « Aujourd’hui, la concurrence entre les pays européens a plus d’inconvénients que d’avantages, donc maintenant il faut organiser la coopération dans de nombreux domaines, c’est-à-dire le vivre-ensemble avec nos différences et nos identités dans tous les domaines. […] L’euro, qui est un bien commun, doit être l’outil de défense et de production de cette économie productive – et aujourd’hui tel n’est pas le cas, car c’est seulement l’outil qui, trop exclusivement, est tourné vers la lutte contre une inflation qui n’existe pas. »

Le protectionnisme. L’économiste Frédéric Lordon dénonce la promotion de la libre concurrence, qui se fait au milieu des pires distorsions, et rappelle que les modèles de développement asiatiques comportent une forte part protectionniste. Jacques Sapir souligne lui aussi ce protectionnisme asiatique : « Les pays qui profitent le plus de la mondialisation sont les pays qui ne jouent pas le jeu. » L’économiste prône en réponse un protectionnisme national en France avec la volonté politique unilatérale d’établir des droits de douanes (taxes).

Arnaud Montebourg défend un « protectionnisme assumé » de l’Union européenne avec des surtaxes pour les produits ne respectant pas les standards internationaux. L’économiste Jean-Marie Harribey, ancien coprésident d’Attac, nuance cette volonté protectionniste systématique et parle de « sélectivité des protections décidée en concertation » . Arnaud Montebourg veut aussi « une taxe sévère » sur les transactions financières à l’intérieur de l’Union européenne, reprenant le thème qui a fondé le mouvement Attac. L’association a en effet été créée pour ­promouvoir la mise en place d’une taxation sur les transactions financières, qui lutterait contre la spéculation tout en dégageant de l’argent pour combattre la pauvreté et le changement climatique.

Y a-t-il pour autant convergence sur un recours au protectionnisme ? Non. Les alters estiment que le retour à des « régulations essentiellement nationales ne résoudrait aucun des problèmes d’aujourd’hui » . Pour eux, « on ne renversera pas le dogme de la “création de valeur pour l’actionnaire” en commençant par des droits de douane contre la Chine, mais par une redistribution des richesses dans nos pays et entre pays » .

Les alters ne condamnent pas totalement la mondialisation :  « Les réponses à la crise nécessitent “plus de mondialisation” dans certains domaines et “moins de mondialisation” dans d’autres, mais exigent surtout une mutation radicale de la logique même de la mondialisation »  ; ils estiment d’ailleurs bénéfique d’accroître la coopération européenne et mondiale dans bien des domaines (écosystèmes, gestion des ressources rares, etc.) : « Ce n’est pas “la mondialisation” que nous rejetons, mais la mondialisation néolibérale et capitaliste, telle qu’elle est organisée par les intérêts des firmes multinationales, les “marchés” et les grandes puissances. »

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