Arnaud Montebourg : « J’appartiens à la gauche décomplexée ! »

Arnaud Montebourg se considère comme «le centre de gravité de la gauche». Il estime que le temps est venu d’«un autre monde», qui «domestique le capitalisme». Ses armes sont la démondialisation et une réforme du système financier.

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 22 septembre 2011 abonné·es
Arnaud Montebourg : « J’appartiens à la gauche décomplexée ! »

Il a beau jurer s’être déjà rendu plusieurs fois à la Fête de l’Humanité, Arnaud Montebourg est venu cette année à La Courneuve pour tenter d’y glaner les voix de la gauche de gauche. Entre deux bains de foule, nous rencontrons le candidat à la primaire du PS, veste en jersey beige et jean brut, sous un chapiteau humide.

Politis : Quel est votre sentiment après le premier débat télévisé, le 15 septembre dernier, entre les candidats à la primaire PS ?

Arnaud Montebourg : L’audience du débat [près de cinq millions de télé­spectateurs, soit 22,1 % de part d’audience, NDLR] a montré une soif de politique. Il a battu une émission très populaire sur TF 1 et a conservé la même audience sur toute sa longueur, ce qui a surpris les organisateurs du débat. Ayant été l’architecte de ces primaires, je suis heureux de voir que ce que j’avais imaginé est en train de se produire. D’abord une mobilisation de la société autour de la recherche de l’alternative au sarkozysme, dont nous voulons tous refermer la parenthèse. Ensuite une prise de conscience des Français du fait qu’ils peuvent prendre le pouvoir sur une élection présidentielle faite jusqu’à présent par les états-majors politiques et médiatiques, et les instituts de sondages. C’est une révolution démocratique car, aujourd’hui, ce sont les citoyens qui vont fabriquer l’offre politique.

Enfin, la primaire montre un mouvement unitaire : dans un même camp, on peut avoir des désaccords tout en se respectant. Une nouvelle culture politique est en train de naître. Le débat télévisé avait l’avantage du débat d’orientation sans l’inconvénient de la division.


On peut penser pourtant qu’il a montré l’incohérence de l’appartenance de candidats aussi différents que Manuel Valls et vous-même à un même parti politique…


Manuel Valls n’a en effet pas un long parcours à faire pour rejoindre l’autre camp. Je crois qu’en réalité ma candidature incarne le centre de gravité de la gauche. Je l’ai constaté à travers les déclarations des autres leaders politiques : Nicolas Hulot me considère comme le plus écologiste des socialistes, Jean-Pierre Chevènement a déclaré qu’il voterait pour moi, Christiane Taubira est dans mon comité de soutien, même Jean-Luc Mélenchon a exprimé des affinités… Je suis à même de rassembler au mieux les gauches qui se reconnaissent dans une alternance de reconstruction du pays.


Plus que François Hollande ou Martine Aubry ?


Pour moi, le débat « Hollande versus Aubry » est artificiel car ce sont tous deux les enfants — l’un spirituel, l’autre réel — de Jacques Delors. À part quelques divergences anecdotiques, ce sont deux candidatures rigoureusement identiques qui appartiennent à la gauche complexée. Or, moi, je fais partie de la gauche décomplexée ! Le débat d’orientation — et non de personnalités — se joue donc entre eux et moi. D’ailleurs, je suis le seul à avoir voté non au traité constitutionnel européen — eux ont voté oui –, je suis le seul à m’être battu pour rénover l’offre du PS — eux ont cogéré le PS…

Avec l’effondrement de la mondialisation financière et la crise actuelle, le centre de gravité d’un socialisme moderne n’est pas dans l’administration en expert-comptable — un cadre social-libéral hérité du passé. Le temps est venu d’entrer dans un autre monde, de domestiquer le capitalisme, de lui imposer un partage, des contre-pouvoirs, une reprise de contrôle de l’économie. Il y a une possibilité de construire un front très large pour réunifier notre action autour d’un projet politique.

Vous semblez très proche d’un candidat comme Mélenchon. Pourtant, vos stratégies sont très différentes…


Ma stratégie a été de transformer le PS de l’intérieur. Jean-Luc Mélenchon a considéré qu’il a échoué à cela ; je considère que je suis en train de réussir. Notamment en ayant mis en place la primaire, qui dépossède l’appareil de ses abus de pouvoir. J’ai mis ma démission sur la table pour obliger Martine Aubry à imposer cette élection ! Désormais, le peuple décidera et le parti obtempérera. Je crois être plus utile à l’avenir de la gauche en permettant aux sympathisants du MoDem, du Parti de gauche, etc. de choisir celui pour qui ils seront obligés de voter pour barrer la route à la droite et à l’extrême droite, qu’en étant à l’extérieur du PS.

Pour quel candidat(e) socialiste voterez-vous si vous échouez à la primaire ?


Je ne me place pas dans l’hypothèse d’un échec au premier tour. Par ­ailleurs, je constate que les orientations des autres candidats sont assez identiques, exception faite de Ségolène Royal, dont j’ai été le porte-parole en 2007, qui a eu un discours proche du mien s’agissant du système financier.


Justement, le terme de « démondialisation » n’a pas forcément été bien compris…


La mondialisation, c’est la victoire des dividendes et des actionnaires, c’est l’écrasement des salaires et de la valeur travail, c’est la mise en compétition des salariés, des niveaux de protection sociale et des choix fiscaux. La démondialisation, c’est le contraire : le retour à une économie régionalisée où des blocs régionaux homogènes défendent leurs modes de vie, leurs salaires. C’est une modération d’un système devenu extrémiste et fou, c’est moins d’esclaves au Sud et moins de chômeurs au Nord…
C’est, d’une part, la reprise en main de la finance au service des intérêts des populations contre la violence des intérêts financiers, et, d’autre part, la protection de nos industries, de nos emplois et de nos agricultures, dans une stratégie protectionniste européenne. Il s’agit de tenir compte, dans le processus de production, des atteintes à l’environnement et aux droits humains.

La démondialisation a déjà commencé dans les pays émergents : le Brésil, l’Argentine ou les pays d’Afrique du Sud refusent de se faire étriller par le modèle prédateur de la Chine. Le Brésil vient de décider de taxes très élevées sur les fabrications d’Apple en Chine. Résultat, Apple a relocalisé au Brésil une de ses usines. Je veux exactement la même chose pour l’Union européenne.

Votre programme de démondialisation ne pourra pas se faire sans les autres pays européens. N’est-ce pas irréaliste de penser les convaincre ?

Ce qui est une douce rêverie, c’est l’altermondialisme qui réclame une gouvernance mondiale. Parce que la mondialisation est, en soi, une dérégulation ! Regardez l’Union européenne : c’est une dérégulation. Nous avons perdu le contrôle de la monnaie, des budgets, de notre frontière. Tous les outils de souveraineté européenne ont été supprimés. Il faut refaire de la politique. Trouver des solutions au niveau national — mise sous tutelle des banques, rapatriement autoritaire des avoirs issus de l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux, séparation des métiers bancaires… –, mais aussi au niveau fédéral avec, par exemple, la création d’une agence de la dette européenne qui financera les dettes publiques nationales issues de la crise par une taxe sur les transactions financières dans la zone euro. Le programme de démondialisation nécessitera quelques explications de gravure au sein de l’Union européenne. J’assume la conflictualité et le désaccord.

Que pensez-vous des affaires qui se succèdent actuellement au sommet de l’État ?

La tolérance à la corruption dans notre régime est corrélée à l’impunité institutionnelle de la classe dirigeante. Depuis la naissance de la Ve République, tout repose sur la vertu volontaire des hommes politiques. Dès lors, l’impunité joue comme une machine à encourager la violation des lois et la corruption au plus haut niveau. Et, aujourd’hui, dans des proportions qui n’ont jamais été atteintes.

L’affaire Urba [dans les années 1990, le PS, notamment à Marseille, est mis en cause pour attribution de marchés publics en échange de financements pour le parti, NDLR], c’était de l’artisanat local. L’affaire de la Ville de Paris [ à la fin des années 1990, le maire de Paris, Jacques Chirac, est soupçonné de détournement de fonds publics pour financer le RPR, NDLR ], c’était la PME. Les contrats d’armement de Sarkozy [ l’affaire Karachi, NDLR ], c’est le stade industriel de la corruption !

Quand j’ai été, avec 38 députés, à l’origine de la mise en accusation de Jacques Chirac, il y a dix ans, les chefs de la gauche m’ont empêché de poursuivre ce combat. C’était un combat de principe mais aussi un combat stratégique qui consistait à soumettre le président de la République à un ordre juridique, à l’État de droit. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy viole la loi, en ne respectant pas le gouvernement, qui a des prérogatives propres, en empiétant sur la séparation des pouvoirs… Et il n’y a jamais de sanctions. La VIe République supprimerait l’impunité des dirigeants politiques, et donc la corruption.


Vous prônez la VIe République, mais le PS n’en veut pas…


C’est une des raisons de ma candidature. Une raison pour laquelle je n’ai pas été aux côtés de Martine Aubry. Celle-ci avait signé dans les tables du congrès de Reims [ en 2008, NDLR ] que nous mettrions en œuvre la VIe République. Non seulement, elle a abandonné l’idée, mais elle a confié à Manuel Valls la rédaction d’un rapport faisant l’éloge de la Ve République !


S’agissant de la dépendance de la justice, mettriez-vous fin au lien hiérarchique qui soumet le parquet au ministre ?


Les parquets indépendants, que nous avons expérimentés avec Élisabeth Guigou et Lionel Jospin, sont une garantie contre l’intrusion du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires, mais pas une garantie d’égalité devant la loi, car à chaque parquetier ou procureur, sa politique. 
Je propose la mise en place d’une institution de procureurs indépendants spécialement nommés et autonomes, juridiquement et intellectuellement, pour les affaires mettant en cause le pouvoir politique.


Vous avez étonné, lors du débat télévisé pour la primaire, à propos du cannabis, par votre analogie : « Ce n’est pas parce qu’il y a des dépassements de limitation de vitesse qu’on doit autoriser la suppression des limitations. » Avec le cannabis, nous sommes dans une situation de prohibition qui fait le lit des mafias. Ce n’est pas le problème de la sécurité routière !

Je ne disconviens pas de votre objection. Mais je répondais à Jean-Michel Baylet, qui disait que, puisqu’on ne respecte pas la loi, il faut régulariser. Or, la question est en réalité de savoir si l’État doit, ou non, organiser la vente du cannabis alors que nous mettons des milliards pour lutter contre les ravages dus à l’addiction à l’alcool et à la drogue. Je n’ai pas envie que l’État autorise mes enfants à prendre de la drogue alors que je passerai ma vie à lutter pour qu’ils n’en prennent pas. C’était une réaction de père de famille…