Ces téléphones qui nuisent gravement

Christine Tréguier  • 26 septembre 2011
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Les propriétaires d’iPhones qui se sont connectés sur l’App Store d’Apple le 10 septembre n’en sont pas revenus. Ils se sont vus proposer pour la modique somme de 0,99 dollars une petite application de jeu baptisée « Phone Story ». Les joueurs y endossent le rôle de fabricant de smartphones et doivent augmenter la productivité de leur entreprise. Ça démarre dans une mine de coltan (un des minerais indispensables pour fabriquer les puces et les cartes informatiques) au Congo, où ils doivent engueuler des bébés-ouvriers pour qu’ils accélèrent la cadence. La deuxième étape les place à la tête d’une usine de fabrication de composants, quelque part en Chine. Problème, les travailleurs ont tendance à se suicider en sautant par les fenêtres, et ils doivent utiliser des filets de sécurité pour maintenir les effectifs. Au troisième palier, ils se glissent dans la peau d’un vendeur pour convaincre le client qu’il n’existe plus socialement si il n’achète pas un iPhone. Et leur dernière mission est d’envoyer leurs e-déchets chez les pauvres. Le tout sous les ordres d’un guide qui, s’ils ne sont pas assez performants, n’hésite pas à leur rappeler qu’ils sont déjà complices, puisqu’ils possèdent un smartphone .

Cette parodie de jeu est l’œuvre de Paolo Pedercini, professeur à l’université de Carnegie-Mellon et membre du Yes Lab – un laboratoire monté par le duo des Yes Men, spécialistes des détournements dénonçant les malversations des multinationales. Quelque peu surpris qu’Apple l’ait laissé passer, il lance la campagne de promotion de son « jeu anti-iPhone pour iPhone » le 13 septembre. Trois heures plus tard, la firme censure l’application, en lui expliquant qu’elle montre des violences sur enfant et qu’elle collecte des dons [^2], ce qui n’est pas conforme à son cahier des charges.

De toute évidence, Apple n’apprécie pas l’humour noir de Pedercini, et moins encore le site Phone Story, où il détaille les nuisances environementales et sociales engendrées par nos outils de communication. Des enfants esclaves de 8 à 15 ans, qui triment pour 1 à 5 dollars par jour, sous le joug de groupes armés dans les mines de coltan du Congo, sur fond de guerre civile larvée pour le contrôle de ces mines, qui dure depuis quinze ans. Des exportateurs peu regardants qui se contentent de demander à leurs fournisseurs de confirmer que le minerai ne provient pas d’une zone de conflits, et dédouanent ainsi la conscience des constructeurs. Des petites mains chinoises qui fabriquent les circuits dans des conditions de travail si inhumaines que certains finissent, comme chez Foxconn, un des sous-traitant d’Apple, par se suicider dans les usines. Une stratégie de l’obsolescence programmée qui génère douze millions de tonnes de déchets très toxiques qu’on envoie se faire recycler par femmes et enfants dans les pays en développement.

Ces nuisances ont été dénoncées par le passé. Mais l’homme moderne a la mémoire courte et l’achat compulsif. Raison de plus pour faire réfléchir les 86 millions et quelques de personnes – dont vous faites peut-être partie – ayant fait l’acquisition d’un iPhone.

[^2]: Les 0,99 dollars devaient être intégralement reversés à des ONG.

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