Comment des pêcheurs somaliens deviennent des « pirates » jugés en France

Le procès de six « pirates » présumés capturés au large de la Somalie s’ouvre bientôt en France. Ces hommes sont en majorité des pêcheurs privés de leur moyen de subsistance par l’industrie occidentale de la mer déployée dans leurs eaux.

Claude-Marie Vadrot  • 23 septembre 2011
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Comment des pêcheurs somaliens deviennent des « pirates » jugés en France
© Photo : Des militaires français procèdent à l'arrestation de pirates somaliens présumés, le 01 janvier 2008, dans l'est du Golfe d'Aden en Somalie / AFP

Du 15 novembre au 2 décembre, la justice offrira aux Français le pitoyable spectacle de six « pirates » somaliens jugés pour avoir arraisonné le 2 septembre 2008 un voilier français passant au large du Yémen, en provenance d’Australie pour gagner la Vendée. Les deux skippers avaient été libérés quelques jours plus tard par un commando fusiliers-marins de l’armée française. Lequel, sur ordre de l’Élysée, crut bon, après la libération, de poursuivre des membres de l’équipe de « pirates » sur le sol somalien -au mépris de la souveraineté du pays- de les capturer puis de les ramener, avant beaucoup d’autres, vers la France pour les juger.

Quelle belle victoire ! Le gouvernement français avait alors prétendu avoir obtenu «  l’accord des autorités somaliennes  ». Énorme mensonge car depuis 1991, il n’existe plus aucune « autorité » somalienne dans un pays dont le gouvernement ne règne plus que sur quelques kilomètres carrés de Mogadiscio, capitale à moitié détruite. Avec un parlement « siégeant » à l’étranger et composé de membres élus il y a plus de 20 ans.

Au moins 22 « pirates » ont été arrêtés et transférés en France, ceux ayant arraisonné le voilier Le Carré d’As et d’autres bateaux. Il a d’ailleurs fallu une nouvelle et discrète législation pour légaliser ce qu’il faut bien appeler une autre acte de piraterie. Pas un seul de ces Somaliens ne parle arabe ou l’anglais. Seulement leur langue nationale qui est unique dans la Corne de l’Afrique. Ils sont donc totalement isolés dans leurs cellules, totalement coupés de leurs pays. Si loin de la réalité que l’un d’entre eux a demandé récemment, par le truchement d’un interprète, si leurs proches pourraient recevoir l’autorisation de venir leur rendre visite «  à pied  ».

Ces hommes sont pour la plupart des pêcheurs privés de leurs moyens de vivre. Tout simplement parce que, faute de police maritime, les gros navires-usines des pays européens et du Japon pillent leurs ressources halieutiques. Mais les forces navales internationales qui patrouillent dans le secteur ne se préoccupent pas de ce piratage-là. Pas plus qu’elles n’empêchent des bateaux poubelles de venir balancer près des côtes des conteneurs de produits chimiques ou radioactifs. Conteneurs affrétés par des sociétés occidentales en toute impunité, alors qu’elles doivent théoriquement les éliminer en Europe. Mais il est vrai que le recyclage des déchets déversés coûte entre 300 et 400 euros la tonne dans nos pays alors que le déversement en mer, dans un espace non surveillé, revient entre 25 et 40 euros la tonne. Un profit sur lequel tout le monde ferme les yeux malgré les avertissements du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Privés de la moindre ressource, ces pêcheurs somaliens, endettés, sont le jouet de bandes maffieuses auxquels ils doivent obéir. Pour survivre et pour protéger leurs familles.

Juger ces malheureux est un véritable déni de justice car cela revient à passer sous silence le drame que vit ce pays. La France et d’autres pays vendent des armes -indirectement, bien sûr- aux factions qui se disputent la Somalie, les islamistes et ceux dont la seule idéologie est de contrôler leurs fiefs. Mais la région souffre aussi de la faim ou de la malnutrition en raison du dérèglement climatique, dont la communauté internationale en général et les Occidentaux en particulier sont largement responsable en repoussant sans cesse la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L’un des avocats de ces Somaliens déracinés explique d’ailleurs qu’il leur a conseillé de demander l’acquittement. La justice se grandirait en acquiesçant à cette demande et en les revoyant chez eux. En prenant en considération que leurs actes, à la fois contraints et désespérés, pèsent bien peu en regard des milliers de femmes et d’enfants qui meurent en tentant de gagner à pied les camps de réfugiés installés dans les pays voisins. Et ce sans que la communauté internationale ne se soucie vraiment de leur sort, malgré les appels des ONG et des Nations Unies.

Monde
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