Gamins esclaves

Los Herederos, docu-manifeste d’Eugenio Polgovsky, dénonce le travail harassant des enfants dans les campagnes mexicaines.

Ingrid Merckx  • 22 septembre 2011 abonné·es

Le plan est bref. Juste le temps d’apercevoir une poupée abandonnée par terre et l’enfant passer à côté sans lui jeter un regard. Il n’a pas le temps, il travaille. Comme les autres. Dès le chant du coq, ils travaillent. Sanglent l’âne. Partent couper du bois. Ramasser des tomates. Porter de l’eau. Apporter des pierres, des caisses, des fagots. Leurs chaussures sont éventrées, leurs habits boueux. Ils tombent, perdent leur chargement. Se coupent, entourent leur doigt en sang d’un scotch. Reprennent. Ils manient des couteaux, des machettes, du feu. Pas un ne moufte. Pas un râle, pas un pleur. Ils sont concentrés, horriblement concentrés.


La caméra les contemple dans des plans larges qui embrassent la nature ou se rapproche dans des plans plus serrés qui laissent entrevoir une machine. Elle les suit de loin, à hauteur d’homme, sans couper quand ils lèvent les yeux vers elle. Ou elle s’accroche à leurs talons, à leur hauteur. Les gestes se répètent et s’accélèrent. Les tomates, le bois, le maïs, le pain, la maçonnerie, etc., jusqu’à l’épuisement…

Los Herederos-Les enfants héritiers n’est pas un documentaire sur les paysans pauvres au Mexique. C’est un manifeste contre le travail des enfants. Unité de temps : une journée, du lever au coucher du soleil, reconstruite, car les scènes ont été filmées dans six régions différentes — le paysage en témoigne — et que les enfants ne prennent pas un repas, pas une douche, ni le temps d’un saut à l’école, ni d’une discussion entre eux ou avec un adulte. D’ailleurs, ceux-ci sont absents. Étrangement hors champ, sauf quand un bras, une jambe ou un ordre traverse le cadre. Sauf aussi dans le camion du retour, le soir, où une gamine s’agrippe au pantalon d’un homme qui pose la main sur son dos, rare moment de calme, repos ou contact.


Eugenio Polgovky, qui cite Eisenstein et Vertov, est un gars de la ville. Découvrant la misère du monde rural (60 % des Mexicains), il a voulu tirer une sonnette d’alarme. Les écoles publiques existent, mais elles sont peu fréquentées. Les hommes quittent les villages, où les enfants les remplacent entre des femmes et des vieillards, alors que le travail est officiellement interdit jusqu’à 14 ans.


Les seuls adultes que la caméra contemple, ce sont de très vieilles personnes ridées et pliées par une vie de labeur. Dans une scène, le réalisateur passe à plusieurs reprises de la vieille à la fillette courbées devant le métier à tisser, si rapidement qu’elles semblent ne faire qu’une. Comme s’il suggérait que c’était la même personne et que sa vie avait déjà passé.

Culture
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