Honneur aux princes de l’image

Des révolutions arabes
aux prisons africaines,
le festival Visa pour l’image rend hommage à ceux
qui témoignent sans limites et sans conditions.

Jean-Claude Renard  • 8 septembre 2011 abonné·es
Honneur aux princes de l’image
© **Visa pour l’image,** Perpignan, jusqu’au 11 septembre (16 septembre pour les scolaires). Entrée libre. Photo : Catalina Martin-Chico

La Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Yémen… Si chaque année, en prise avec l’actualité, le festival se veut le reflet des soubresauts du monde, cette 23e édition a eu la matière dense. Et tragique. En rappelant d’emblée la disparition récente de photojournalistes : Lucas Dolega, Chris Hondros, Tim Hetherington, Anton Hammerl. C’est que le métier ne se pique pas de conditionnel. « Ils sont là, toujours en première ligne. Pour témoigner », souligne Jean-François Leroy, directeur du festival. Si le reportage a perdu du terrain dans la presse, il n’a jamais été si courtisé par le grand public et les festivals.


À Visa pour l’image, cette année, ce sont vingt-six expositions, avec pour chacune une quarantaine d’images. Du travail de fond, loin du jet continu du robinet de l’information. Comme celui de Catalina Martin-Chico, installée fin janvier sur le parvis de l’université de Sanaa, au Yémen, rebaptisée « place du Changement », saisissant ce « premier km2 de liberté », au milieu d’étudiants, de laissés-pour-compte, de chefs de tribu, de parlementaires, de commerçants. Le choix de la méthode est sans équivoque. Ici, la révolution se fait sans armes. Il n’empêche. Les manifestants ont essuyé les gaz lacrymogènes, les coups de matraque et les tirs aveugles de snipers embusqués.


Dans le souffle d’un vent nouveau, Martin-Chico fixe des chefs de tribu organisant un sit-in, des fidèles entonnant des chants d’opposition un vendredi jour de prière, l’enterrement de martyrs, une mosquée convertie en dispensaire, des infirmières qui n’esquivent plus les contacts physiques, dans un pays où les rapports hommes/femmes doivent être évités. Si le pouvoir ne cède pas encore, l’épicentre de la contestation yéménite ne désemplit pas.
Pourtant, fin 2010, dans son périple au cœur du monde arabe, Yuri Kozyrev croquait encore un pays au calme apparent. Loin de ses reportages trempés d’effervescence à Bahreïn, en Égypte, en Libye.

Sur le même thème encore, Visa pour l’image présente « le printemps arabe de Paris Match  », avec 24 photographes dépêchés sur zone. Parmi la cinquantaine d’images, il en est une tirée au Caire, le 2 février. Des Bédouins de Gizeh, furieux d’avoir perdu leur casse-graine de guide pour touristes, chargent à dos de dromadaires des occupants de la place Tahrir. L’image, signée Chris Hondros, transpire de tension. Le photographe est mort quelques semaines plus tard, à Misrata, d’un éclat d’obus. C’est le prix de la ligne de front. Et de l’information. Le prix payé également par João Silva, blessé par une mine antipersonnel en Afghanistan, et dont les images, exposées, sont de vives confrontations entre le premier plan et ce qui s’agite au fond du cadre.
Forcément, le festival consacre un volet au mois de mars japonais. Avec son lot de tragédie écologique et humaine, livrant l’ampleur d’un cauchemar mêlé de désolation…


Cauchemar, cet autre leitmotiv colorant les images de Fernando Moreles, fourrant dans l’objectif l’incarcération des gosses en Sierra Leone et au Soudan. À Freetown, les détenus restent dans l’attente d’un jugement parfois des années, sans assistance judiciaire.


Mesures d’hygiène inexistantes, eau rare (25 cents US le seau), feuilles de manioc et pomme de terre en guise de repas. Hardis petits. Il faut compter sur la saison des pluies pour se laver. Pour ceux qui ont écopé ferme, latrines payantes. Chaînes au pied, on partage dysenterie, gale et paludisme, mômes et adultes logés à la même enseigne, dans des cellules de 25 m2 pour 60 détenus. Gare aux plus faibles alors.


À côté de ce cul-de-basse-fosse aux couleurs ambrées, les images acidulées de Peter Dench sonnent comme une récréation : l’Angleterre comme on aime à la moquer, avec ses bougres d’ânes et bougres d’andouilles mal accoutrés, sa tambouille sur un parking, ses régates sur la Tamise. Un pêle-mêle de ridicule et de désuétude piqué d’humour. So british, qu’on dit.

Culture
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