Le Pérou vu d’un cachot

Récit d’une expérience carcérale en 1937 au pénitencier d’El Sexto.

Anaïs Heluin  • 29 septembre 2011 abonné·es

Comme tout pénitencier, celui d’El Sexto, à Lima, réunit la fange du Pérou, ses élites et ses fantômes. Une structure qui se complexifie dans les années 1930 avec la dictature du général Benavides. Des prisonniers politiques affluent et transportent jusqu’en prison leurs idéologies. En 1937, à l’époque étudiant en lettres, José María Arguedas partage pendant huit mois le quotidien de ces incarcérés. Ce n’est qu’en 1961 qu’est édité El Sexto , roman inspiré de cette expérience carcérale.

Si sa traduction paraît aujourd’hui chez Métailié, ce n’est pas seulement pour la reconnaissance littéraire qu’a entre-temps acquise l’auteur : en plus d’éviter les clichés du genre, il a su dire la société péruvienne dans son entier. Abîmée par son lot de mal-être, mais aussitôt réparée grâce à une nature généreuse. L’emploi d’une langue fruste, imprégnée d’oralité, permet de mettre en place ce dualisme. Surtout composé de dialogues, le texte donne la parole aussi bien à des malfrats sanguinaires qu’à des militants politiques quechuas qui disent la poésie de leur terre.

Connu pour son indigénisme, José María Arguedas ne l’exprime dans ce texte que par des détails infimes. Une chanson, un souvenir de paysage… Les identités se perdent dans les cellules pour se refondre en plusieurs groupes antagonistes. Les communistes contre les apristes (démocrates), les prisonniers politiques contre les délinquants sexuels et assassins : dans le récit du quotidien de la réclusion, des hiérarchies se dessinent, aux strates étanches. Ou presque.

En effet, Gabriel, le héros de la fiction, échappe à toute catégorie. Et comme son entrée à El Sexto ouvre la narration, son regard vierge se dépose sur cette face malade du Pérou. Peu à peu, il en apprend les codes, sans jamais les adopter. Dans ce regard distancié, objectif, tient l’espoir du pays et de l’humanité : revenir à la raison.

Anaïs Heluin
El Sexto, José María Arguedas, Métailié, 188 p., 18 euros.

Littérature
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