L’été indien n’existe pas…
Chronique « jardins » du week-end. En France, l’ultime période de temps clément entre la période estivale et les frimas de l’hiver n’est pas celle que l’on croit.

C’est fait : sous prétexte que le soleil brille, les radios et chaînes de télé nous rebattent les oreilles avec « l’été indien ». Or, il n’existe pas en Europe. D’ailleurs, tout en faisant la fortune de cette expression, Joe Dassin et son parolier Pierre Delanoë avaient prévenu : « C’était l’automne, un automne où il faisait beau , une saison qui n’existe que dans le nord de l’Amérique, la-bas on l’appelle l’été indien ».
Avant Halloween, les Français ont donc rapatrié dans l’Hexagone un épisode climatique aléatoire, c’est à dire trois ou quatre jours de douceur ensoleillée survenant entre la mi-octobre et le début du mois de novembre. Mais seulement au Canada ou dans le Nord-Est des Etats-Unis, quand il fait un peu froid la nuit et doux le jour après une aube voilée de brouillard.
L’été indien, ou plus exactement l’expression, aurait été inventé dans ces régions à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe. Dans la vallée du Saint Laurent, on parle d’ailleurs toujours de « l’été des Indiens » et même de « l’été des sauvages ». Peut-être, explique la légende nord-américaine, parce qu’au moment où les arbres se paraient de feuilles superbes, au moment où la douceur revenait sur la forêt, les Indiens s’affairaient à faire leurs dernières provisions, leurs dernières parties de chasse, installant ailleurs leurs campements et déployant, aux yeux des observateurs blancs, une activité largement supérieure à celle du véritable été, quand ils étaient accablés par la chaleur et les moustiques.
Prompt à démasquer les légendes, les météorologues canadiens ont observé que cet été indien ne se produisait que pendant la moitié des années étudiées. Ils font remarquer qu’en ville, cet épisode climatique est en général générateur de pollution atmosphérique en raison de la stabilité d’une zone de haute pression expliquant le beau temps. Malicieux, ces météorologues font même remarquer que certaines années produisent deux ou trois étés indiens. La même remarque s’applique au « babielieto » russe, ukrainien ou biélorusse, terme qui se traduit par « été des grands-mères » et qui fait plus allusion aux multiples couleurs de la forêt qu’à la douceur provisoire de la température. En Allemagne, c’est « l’été des aïeules ».
Ce que nous avons tendance à nommer « été indien » en France serait éventuellement « l’été de la Saint Martin », une période climatique plus douce qui se manifeste plus ou moins régulièrement autour du 11 novembre, un jour de notre calendrier d’où ce pauvre Saint Martin a été chassé par la célébration de l’Armistice de la Grande guerre. A cette période de l’année, ce sont des courants d’air en provenance du sud-ouest qui maintiennent à la fois une douceur provisoire due à des hautes pressions. Jean Ferrat, dans une chanson, a évoqué « le ciel incertain de l’été de la Saint Martin ». Dans son livre « Les chemins nous mentent », Philippe Delerm nous raconte que « c’est une idée qui flotte quelque part, le rêve d’une oasis entre deux bourrasques, la volupté mélancolique de s’avancer en manche de chemise sous un soleil tiède en se disant que c’est la dernière fois ». Et cet été de la Saint Martin, aussi aléatoire que l’autre, c’est de toute évidence la période de l’année où les forêts françaises sont les plus belles.
À cette époque, non pas à cause du gel comme on le croit parfois, les feuilles des arbres, dans la forêt et au jardin changent d’aspect sous l’influence de la diminution de la durée du jour. Les nuits fraîches et les jours raccourcis favorisent notamment la production d’une hormone qui donne des couleurs aux feuilles. Tandis que, recevant de moins en moins de sève, la feuille perd lentement la chlorophylle qui la teinte normalement en vert. Au profit des anthocyanes qui fournissent le rouge tandis que la carotène donne du jaune. Tout ceci étant plus ou moins variable d’une espèce d’arbre à l’autre et même d’une qualité de terre à une autre. Ainsi, quand la terre du jardin est plutôt acide, c’est le rouge qui s’imposera dans les feuilles d’érables, alors que le violet dominera en cas de sol alcalin. Sans oublier que les épisodes de sécheresse, comme c’est le cas cette année, accélèrent et accentuent le phénomène de coloration. Pour notre plaisir. Et pour le malheur des arbres qui peuvent en cet automne sec briller de leurs derniers feux. Comme les arbres fruitiers qui se couvrent de fruits quelques mois avant leur mort, comme pour avoir la « certitude » de survivre dans une graine…
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