Mais où sont passés les lecteurs ?

Depuis janvier, les libraires connaissent une baisse inquiétante des ventes. À Paris, Le Genre urbain, librairie indépendante, s’accroche. Reportage.

Olivier Doubre  • 1 septembre 2011 abonné·es

Un samedi de juillet. Il est plus de 20 heures. Rue de Belleville, l’été, la librairie Le Genre urbain reste ouverte jusqu’à 21 heures. Quelques clients flânent dans son espace plutôt étroit et tout en longueur. D’autres trouvent aussitôt le livre qu’ils liront sur la plage, et règlent, pressés. Spécialisée dans les publications relatives aux problématiques urbaines (architecture, urbanisme, écologie, sociologie de la ville, etc.) —  « c’est notre identité », précise fièrement Xavier Capodano, son fondateur et propriétaire –, cette librairie de quartier tient à ses attaches dans l’Est parisien, longtemps populaire, aujourd’hui multiculturel mais en voie de gentifrication croissante. De « boboïsation », tranche Xavier Capodano.


Comme quasiment tout le secteur de l’édition et de la librairie, Le Genre urbain a constaté une baisse substantielle de fréquentation — et donc de chiffre d’affaires — depuis début 2011. « Nous avons subi un certain tassement au cours de ce premier semestre, avec entre 5 et 10 % de clients en moins, même si, depuis l’été, il y a un petit regain. Mais on a réussi à limiter la casse car nos ventes n’ont baissé que de 2 à 3 %. » Ce qui est déjà conséquent, mais « moins grave que [la situation] d’autres collègues qui, eux, ont vraiment bu le bouillon, avec entre 5 et 10 % de baisse des ventes ! »


Le « patron », comme il se nomme avec une pointe d’ironie, avance deux explications : d’une part, « un paramètre général lié à la crise et aux difficultés financières des gens : les salaires n’augmentent pas, et les loyers, le transport prennent une part croissante dans les budgets des ménages ». De l’autre, le fait que « la population “bobo” vit souvent au-dessus de ses moyens ». Aussi, à la moindre difficulté, « les commerces culturels sont les premiers à trinquer, alors que nous avons déjà les marges les plus faibles du commerce en général ».

Xavier Capodano refuse pourtant de se présenter en perpétuelle victime d’une profession « qui, de toute façon, est structurellement en crise, qui vit dans une économie par définition fragile ». Ce qui l’intéresse, c’est « d’inventer » les moyens de résister à ces difficultés chroniques. Il est convaincu que la chaîne du livre a les capacités « de se serrer les coudes ». Il est pourtant en colère lorsqu’il constate que « le Syndicat national de la librairie subit la loi du Syndicat national de l’édition ». Et Le Genre urbain, comme toute librairie indépendante, celle de ses fournisseurs. « On est confrontés à des multimonopoles — par exemple, si vous voulez l’Étranger de Camus, c’est Gallimard et personne d’autre –, et les disparités sont trop grandes au sein de la chaîne du livre, entre des librairies comme la nôtre et les industriels de la diffusion et de la distribution, qui ont des pratiques capitalistiques très violentes, même si leur logistique nous est bien entendu utile. » Ces industriels auraient pourtant les moyens de laisser le temps aux libraires de se remettre à flots dans les périodes difficiles…


C’est pourquoi Le Genre urbain s’est « allié » avec huit autres librairies « de l’Est parisien » pour peser davantage face aux fournisseurs, mais aussi pour « être inventif et améliorer le service aux clients : en mutualisant nos stocks, on est capable chacun de garantir 120 000 livres à J + 1 ». Un bon moyen de résister aux grandes enseignes… Le prix du foncier étant un problème épineux à Paris, le réseau Librest www.librest.com 
 est aussi un moyen de le contourner. L’important est d’avoir « une dynamique de projets, alliant une unité à but économique et des initiatives d’animation culturelle ». Cette aventure commune, « démarrée autour d’une table à boire des coups et à refaire le monde — de la librairie dans notre cas ! — », développe ainsi une politique ambitieuse de rencontres avec des auteurs : trois cent dates depuis huit ans dans les librairies du réseau.

Les temps restent durs néanmoins. Le site du Syndicat national de la librairie prévoit que, dans les trois ans à venir, les trois quarts des librairies dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 400 000 euros par an disparaîtront. D’où le prochain déménagement du Genre urbain, avec un investissement important, dans un espace deux fois plus grand, quelques dizaines de mètres plus haut dans la même rue de Belleville.

Culture
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