« Pieds nus, traverser mon cœur » : le travail de vivre

Michèle Guigon, entre rire et pudeur, retrace sa renaissance après un cancer. Ou comment transformer la douleur en force.

Gilles Costaz  • 8 septembre 2011 abonné·es

Il n’y a pas de comédie ou d’art comique qui n’ait partie liée avec la tragédie. Le rieur parle des difficultés de vivre, et le malheur n’épargne pas celui qui fait profession d’amuseur. Michèle Guigon, qui fit partie de la troupe de Jérôme Deschamps avant de s’exprimer en solo avec une grâce infinie, a été victime d’un cancer il y a quelques années. Cette terrible épreuve, elle l’a évoquée, mi-rire mi-pudeur, dans son précédent spectacle, La vie va où ? Aujourd’hui, nouvelle pièce : Pieds nus, traverser mon cœur, qui est le récit de sa renaissance. C’est autobiographique mais à partager. C’est un portrait en pied mais où chacun se reconnaît, avec des tiraillements secrets quand on se souvient avec elle de notre histoire avec sa famille et avec ses amis. Le texte n’est pas tout à fait celui d’une solitaire, puisqu’il est écrit par Michèle Guigon en collaboration avec Anne Artigau et mis en scène par Suzy Firth, deux personnages auxquels l’artiste rend hommage en cours de soirée.


Michèle Guigon commence son spectacle en nous tournant le dos. Assise devant une table, elle écrit des aphorismes en les proclamant à voix haute. Des phrases comme : « Je me sentais mieux dans mon corps il y a vingt ans, mais je me sens mieux dans ma peau maintenant. » Mais elle ne reste pas immobile. Dans sa veste à gros boutons de métal, elle bouge, fait face, jongle avec ses humeurs. Elle donne l’impression de sauter du coq à l’âne mais, en réalité, tire plusieurs fils, dont celui qui mène à un aïeul qui n’a pu se remettre de l’exécution de son père par les nazis. Il n’a pu — nous citons de mémoire — « transformer sa douleur en force ». Le cœur de la pièce, c’est cela : comment être aimant alors que tout nous blesse et que l’égoïsme nous tend sans cesse les bras ?


En même temps, Michèle Guigon s’interroge sur l’âge. Comment supporter les blessures supplémentaires du vieillissement ? « Vivre est un tel travail, pourquoi nous en demande-t-on un autre ? », dit-elle aussi, sans jamais tomber dans l’esprit de sérieux. Si le véritable humour consiste à se moquer de soi-même, elle en a beaucoup. Elle se brocarde elle-même pérorant en famille ou encombrant ses amis. Elle sait également casser le respect protocolaire, en dénonçant, par exemple, les fautes d’orthographe de textes tout à fait bouleversants laissés par les siens ! « Je suis la plume et l’encrier », lance-t-elle. La plaie et le couteau aussi. Le couteau du rire le plus bienfaisant.

Culture
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