Quand le Medef fait patte de velours…

Pendant son université d’été, le Medef a voulu prouver que les patrons “avaient du cœur”. Les intervenants promettent plus de régulation, mais les petits patrons continuent de se plaindre des charges. Tous les poids lourds de la majorité s’étaient déplacés à Jouy-en-Josas.

Pauline Graulle  • 8 septembre 2011 abonné·es
Quand le Medef fait patte de velours…
© Photo : AFP / ImageForum

Le Medef nouveau — humain, attentif aux effets de la crise — serait-il arrivé ? Dans une ambiance conviviale, des milliers de petits et grands dirigeants d’entreprise se sont rassemblés, du 29 août au 2 septembre, sur le verdoyant campus d’HEC à Jouy-en-Josas, pour la 13e université d’été de la première organisation patronale de France.


Relayé par des centaines de journalistes — BFM ou France Culture ayant planté leur tente pour retransmettre l’événement en direct –, l’objectif de ce grand raout était clair : célébrer le nouvel esprit d’un capitalisme « humaniste » qui, le 25 août, trouvait son incarnation dans l’appel de seize grandes fortunes françaises — par ailleurs adeptes de l’évasion fiscale — à payer, de manière « exceptionnelle », plus d’impôts. À huit mois de la présidentielle et au moment même où le plan de rigueur du gouvernement touche durement les plus modestes, il s’agissait en clair, pour le Medef, de la jouer patte de velours.


« Non, les chefs d’entreprise ne manquent pas de cœur ! », a claironné le banquier David de Rothschild, lors de la plénière de clôture sur le « Leadership et [la] générosité ». Suite logique à une matinée sur la « compétitivité équitable » (sic) et à une après-midi dédiée, la veille, aux « nouvelles (sic) figures de l’humanisme » : le féminisme, le « refus des extrêmes » et « le droit à l’émotion », une session qui a réuni Michèle Alliot-Marie — pourtant peu connue pour son sentimentalisme ! — et Stéphane Richard, PDG de France Télécom, qui a affirmé, dans un vibrant hommage aux vingt-sept suicidés de 2010, que « bannir [de l’entreprise] ce qui fait l’humain est un non-sens complet ».


Sous le regard placide de Jean-Bernard Lévy, président du directoire de Vivendi, 4 millions d’euros d’émoluments en 2010, Martin Hirsch a dénoncé les « hauts salaires responsables des déficits sociaux ». Et l’altermondialiste Susan George a eu droit à la parole pour évoquer les affres d’un capitalisme mondial inique…


Fini, donc, la loi du plus fort, le libéralisme mondial échevelé, le capitalisme triomphant ! En 2011, du représentant du CAC 40 à celui de la start-up, on n’a eu, à la tribune du Medef, qu’un mot d’ordre : la « régulation » appelée de leurs vœux tant par Guillaume Sarkozy, PDG du leader de la protection sociale privée Malakoff Médéric, que par Charles Beigbeder, créateur de Poweo, qui « rêve d’États forts qui feraient respecter les règles du jeu ».

Côté politiques aussi, la grande conversion semble avoir eu lieu, Xavier Bertrand promettant plus de « régulation sociale », Henri Guaino citant Keynes, Jacques Attali, auteur du fameux rapport pour « libérer la croissance », déclarant finalement que « l’économie de marché sans règles de droit, c’est le chaos ». Même Hervé Novelli, chef de file des ultralibéraux, a fustigé « la faiblesse de l’Organisation mondiale du commerce et l’insuffisance de règles en matière internationale » …


On part alors dans les allées bordant les chapiteaux à la rencontre de ces chemises rayées anonymes qui se détendent en feuilletant la Tribune ou le Figaro pour savoir ce qu’elles en pensent. Ô surprise ! L’idée de la régulation est loin de faire l’unanimité. « Et encore, les patrons que vous voyez à l’université d’été sont les plus progressistes », glisse un participant.


En résumé, la régulation, très bien… mais pour les autres ! D’accord pour les grands méchants loups du système financier —  « très peu représenté dans le programme de cette année », fait remarquer un habitué. D’accord pour ceux qui risquent de mettre en péril les profits de l’économie réelle. D’accord pour ces entreprises chinoises qui font de la concurrence déloyale. Mais pour les « créateurs d’emplois » que sont les entrepreneurs français, pas question de composer avec un interventionnisme de mauvais aloi.

Que peut faire l’État pour eux ? « Surtout rien ! », lâche Virginie Jolly, déléguée générale du Medef de l’Est parisien. « On sait bien, se ravise-t-elle, que les politiques ne veulent pas empêcher les entreprises de fonctionner. Mais les contraintes sur l’emploi des seniors, par exemple, entraînent des coûts induits et de la complexité supplémentaire qui font qu’on ne crée pas de valeur. »


Autres exemples de ces « contraintes » dont on se passerait bien : le « droit du travail », le « droit social » ou la « fiscalité », dit Flavien Kulawik, fondateur d’un cabinet de conseil spécialisé dans la réduction des coûts installé à Londres. « Il faut nous donner de l’air », ajoute-t-il. Maurice Bourrigaud, président du directoire de la Caisse d’épargne d’Auvergne et du Limousin, conclut en souriant : « Il faut un libéralisme régulé, mais enlever toutes les contraintes qui sont mesquines, qui portent atteinte à la liberté, qui découragent. »


Qui croire, alors, entre les beaux discours des grosses légumes du Medef et la « base », composée à 80 % de patrons de PME qui, si l’on en juge par les questions posées par SMS et reproduites sur les écrans géants des salles de conférence, s’inquiètent surtout des « charges » sociales ? « Vous savez, explique ­ Jean-Michel [^2], 62 ans, ancien haut responsable dans une entreprise du CAC 40, en esquissant un sourire désabusé, à l’université d’été, il y a des paroles… Mais des paroles aux actes… En réalité, rien ne change vraiment. »


Et, de fait, les vieilles antiennes ne sont jamais bien loin. À la tribune où Gary Shapiro, dirigeant d’un « Medef » américain, estime que l’État doit « nous laisser libres d’embaucher et de virer qui on veut ». Ou à la table de Serge Dassault, 86 ans, qui décline dans un silence gêné ses « solutions » pour la France. D’abord, ne pas laisser les salariés aux syndicats, « qui, au lieu de les aider, les précipitent souvent vers le chômage » par les revendications d’augmentations de salaires « impossibles, évidemment, à satisfaire pour la bonne gestion de l’entreprise ». Mais aussi repenser le fonctionnement de « nos écoles, mal adaptées à la vie économique », « arrêter de faire financer la Sécu par les salaires », ou encore revoir la fiscalité « trop élevée et démotivante [qui] fait partir les plus riches » … 


Le Medef a beau essayer de chasser le naturel, il revient au galop.



[^2]: Il a requis l’anonymat.

Publié dans le dossier
11 septembre, le business de la peur
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