Faut-il participer à la primaire ?

Choisir son candidat socialiste à l’élection présidentielle ? C’est non pour Clémentine Autain, et oui pour Pierrick Tillet, alias Le Yéti.
Chacun expose ici ses arguments.

Politis  • 5 octobre 2011 abonné·es
Faut-il participer à la primaire ?
© Retrouvez le blog de Pierrick Thilliet, dit Le Yéti, sur yetiblog.org et www.rue89.com/yeti-voyageur Photo : AFP / Files /Jacques Demarthon, Philippe Huguen, Bertrand Guay, Jeff Pachoud, Thomas Samson, Alix Guigon

Illustration - Faut-il participer à la primaire ?

La primaire est une tentative de modernisation politique, de rénovation démocratique. Ce n’est pas rien et je comprends que le processus suscite de l’enthousiasme. On lui reproche à juste titre d’accroître la personnalisation de la vie politique et de se mouler à merveille dans l’esprit de la Ve République qu’il faudrait balayer. Mais la raison pour laquelle je n’irai pas voter se situe fondamentalement ailleurs.

En réalité, cette primaire, ce n’est pas vraiment mon affaire. Mon candidat, c’est Jean-Luc Mélenchon.

Engagée dans la gauche de transformation sociale et écologique, j’ai à cœur de porter les idées de rupture avec l’ordre existant. L’émancipation humaine suppose de saper les fondements du capitalisme et du consumérisme, de repenser du sol au plafond nos institutions, de développer les protections sociales, les services publics et les libertés, de s’attaquer sérieusement à la domination masculine et à toutes les formes de racisme.

Dans le programme actuel du PS comme dans les discours de ses principaux leaders, je ne vois pas trace d’une telle ambition. L’alternance entre peut-être dans l’épure budgétaire assumée par le PS avec l’objectif à court terme de 3 % de déficits – ce qui représenterait une véritable saignée pour les dépenses publiques – mais pas l’alternative. S’il s’agit de choisir qui est le mieux placé pour porter ce projet, pourquoi irais-je voter à la primaire du PS ?

J’entends une musique différente du côté d’Arnaud Montebourg, qui s’en prend à la finance, à l’Union européenne telle qu’elle ne va pas, aux institutions à repenser, etc. Souhaitons qu’il fasse le meilleur résultat possible car, le PS étant une force majeure de la gauche, il importe qu’il ne soit pas totalement aspiré vers le centre. Mais ses chances de l’emporter sont minimes, sinon inexistantes, notamment parce que le système de la primaire recèle un effet pervers : inciter les farouches opposants à Nicolas Sarkozy à aller supporter celui qui, dans les sondages, apparaît aujourd’hui comme le favori pour le mettre dehors. C’est ainsi que la primaire, idée neuve et a priori séduisante, se transforme en machine à ramener le curseur de la gauche au centre de l’échiquier politique.

Cet événement très médiatique conduit à marginaliser le premier tour de l’élection présidentielle en accréditant l’idée que seul le PS est à même d’être présent au second tour face à la droite. Or, le premier tour doit permettre de dire quelle gauche nous voulons.

Plus il y aura de votants à la primaire, plus le vent portera en faveur de la campagne du PS. Veut-on donner du souffle au candidat d’une gauche recentrée, à celui de l’austérité à visage humain ? Méditons l’exemple italien. Une grande primaire a porté la candidature centre-gauche de Romano Prodi. Il a gagné puis déçu, n’apportant pas de solutions aux catégories populaires. Résultat : l’avènement d’une droite plus dure encore avec le gouvernement Berlusconi II et une gauche en charpie.


Illustration - Faut-il participer à la primaire ?

Ils l’ont voulue ouverte, leur primaire, non ? Très bien, jouons le jeu démocratique. Soutien (financier) du Parti de gauche et d’EELV, actuellement plus proche du premier que du second, je voterai pour Arnaud Montebourg à la primaire socialiste des 9 et 16 octobre. Pour trois raisons :

1 – Le projet le plus à gauche

Le projet d’Arnaud Montebourg est incontestablement le plus à gauche des six en compétition. S’il ne propose en effet pas de revenu minimal décent, ni de limitation de l’échelle des revenus, il défend au moins un capitalisme coopératif allant dans ce sens, avec une mise sous tutelle des banques privées, et des protections commerciales à nos frontières pour parer au dumping social. Il revendique enfin une mutation ­écologique et affirme vouloir ­« démondialiser » les centres de décision et de production. À côté du fumeux et creux « souffle » que voudrait engager François Hollande, ou du sempiternel « retour de la confiance » invoqué par une Martine Aubry sans inspiration, avouez que cela a tout de même une autre gueule !

2 – Nouer des alliances politiques

La gravité de la crise systémique mondialisée imposera nécessairement des alliances inédites pour espérer redresser le pays. Tant qu’à nouer des alliances, autant le faire avec des gens qui sont les plus proches de vos idées. L’occasion nous est donnée de gauchir un peu le PS ? Profitons-en !
J’ai bien conscience des limites du projet Montebourg, de la versatilité du personnage (depuis son alliance erratique avec Ségolène Royal en 2007 à la façon dont il renia dans les faits son engagement sur le non-cumul des mandats). Mais la politique n’est pas d’exiger un Grand Soir fumeux en vue d’un monde parfait. Le réalisme politique, si ce n’est pas non plus se soumettre entièrement à la réalité, c’est au moins en tenir compte.

3 – Une question de stratégie

La politique, c’est aussi une stratégie. Tant qu’à faire, je pense qu’il sera beaucoup plus facile à un Front de gauche de discuter avec un Montebourg qu’avec un Valls (qui finira certainement un jour ministre d’un gouvernement de droite).

Et puisque EELV tient tant à faire alliance avec le PS (on sent que ça les démange !), autant voir Eva Joly dans les bras d’un bel Arnaud démondialisant, plutôt que la condamner à suivre François Hollande sur les traces austères d’un Papandreou soumis aux diktats des banques privées et de la dette.

Voilà donc les trois raisons de mon choix résolu pour aller voter à la primaire socialiste toute proche, et y voter pour Arnaud Montebourg. Même s’il y a peu de chances que j’en fasse ensuite mon candidat du premier tour de la présidentielle de 2012, il représente le seul espoir qui me fasse me déplacer au second tour s’il fait partie de l’équipe du candidat de gauche.
Oui, je sais qu’outre faire bisquer les caciques solfériniens au passage, cette décision décoiffe aussi beaucoup de gauchistes. Pourtant, je serais eux, je lancerais illico presto le buzz sur les réseaux sociaux. Tous à vos Facebook et à vos Twitter ! Le 9 octobre (et le 16 au besoin), on doit tous devenir des montebourgeois ! À défaut de changer complètement la politique et le monde, cela nous vaudra au moins le plaisir de voir danser quelques éléphants roses…

Clivages
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