La biodiversité perdue du coing, de la pomme et de la poire

*Chronique « jardins » du week-end.* Il existe des milliers de variété de pommes et une centaine de poire, qui possèdent chacunes des arguments singuliers.

Claude-Marie Vadrot  • 8 octobre 2011
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La biodiversité perdue du coing, de la pomme et de la poire
© Photo : [Capture d'écran](http://lesdelicesdevanessa.com/2011/04/22/ras-la-toque-des-pommes-mal-traitees/)

Au début d’un automne déjà ancien mais moins ensoleillé, le long d’un mur, dans un coin reculé du jardin qui n’avait pas été défriché depuis une vingtaine d’années, j’ai découvert trois gros fruits jaunes là où je pensais que derrière des ronces, se cachait un très vieux poirier. Trois fruits durs comme de la pierre. Il me fallut quelques jours pour comprendre -la mémoire du jardinier est parfois étrange- que je venais de cueillir trois coings.

Le vieux poirier fatigué planté il y a certainement une cinquantaine d’années a tout simplement laissé repousser son porte-greffe d’origine Cydonia vulgaris ou Cydonia oblonga , m’offrant en quelque sorte un arbre à deux fruits différents que je taille désormais avec soin. Ce coing est originaire du Caucase et il me souvient en avoir vu des sauvages, à fruits bien plus petits, en moyenne montagne arménienne et sur des collines occidentales de l’Azerbaïdjan. Les paysans ou les promeneurs venus de la ville les conservent jusqu’à la fin du printemps dans des caves fraîches avant d’en faire d’étranges « kompots ». De ces régions, l’arbre a gagné Bagdad et Babylone il y a quelques milliers d’années. Il parait même que les populations nomades les emportaient avec eux pour chasser les mauvaises odeurs de leurs tentes.

Au temps de la Grèce antique, le cognassier devint le symbole de l’amour et surtout de la fécondité. Il fut souvent planté aux alentours des temples consacrés à Vénus. Parvenu en Europe occidentale au début du Moyen Âge, le coing conquit la France et devint l’accessoire de nombreuses confitures et surtout des gelées qu’il aide à « prendre » naturellement. Car il faut rappeler que ce fruit qui sort discrètement de l’oubli depuis quelques années, et que l’on cueille en novembre ou décembre, est immangeable cru : aucune « amélioration » n’a réussi à changer la nature rebelle du coing. Il est tellement dur qu’il se conserve longtemps et ne se consomme que cuit. En mélange avec quelques pommes, un délice délicat que j’avais oublié. Tout comme j’avais oublié que ma grand-mère du Morvan, comme les nomades irakiens de l’époque de Saladin, les enfournait dans ses coffres pour parfumer le linge.

Ce coing que la mode alliée à la gastronomie va peut-être sauver et ramener plus souvent sur les marchés, fait partie des espèces fruitières qui disparaissent. Parce qu’elles ne sont pas « belles », parce que l’on ne sait plus comment les accommoder, parce qu’elles supportent mal le transport, parce que leurs grosseurs sont capricieuses. Le goût étant considéré par le commerce et les grandes surfaces comme une qualité accessoire, l’ « apparence » étant essentielle. Comme si les fruits, conservés au gaz éthylène, devaient désormais d’abord « faire de la com’ » avant de servir au dessert ou à la cuisine.

Il existe aujourd’hui, selon les sources, de 6 000 à 10 000 variétés de pommes dans le monde. Les Français pouvaient choisir dans plus d’un millier au début du XXe siècle. Sur les étals les plus imaginatifs, nous n’en trouvons aujourd’hui qu’une dizaine. Il revient donc au jardinier, délaissant la golden envahissante ou la grany smith , de se tourner vers les oubliées. D’abord parce qu’il participe ainsi à la sauvegarde de la biodiversité face aux forces qui souhaitent simplifier le monde. Ensuite parce que, reproduisant les variétés anciennes ou quasiment perdues, il retrouvera des goûts et des couleurs également oubliés.

Quel plaisir, par exemple, de choisir dans l’imposante famille des calvilles : 25 pommes reconnaissables à leurs fesses multiples. La plupart sont des tardives qui mûrissent doucement en cave sur des claies, période pendant laquelle le fruit perd son acidité pour gagner en sucre et en goût. Ainsi la « calville blanche (ou blanc disent certains vieux textes) d’hiver » est si fine et si sucrée qu’elle était cultivée pour Louis XIV avec la pomme d’Api plate de la comptine. Elle était encore considérée comme un fruit de luxe au lendemain de la dernière guerre. Plus grande famille encore, avec beaucoup d’«enfants» oubliés, celle des « reinettes » qui compte plus d’une centaine de variétés sur le territoire français.

Dans cette longue litanie dont les appellations chantent la province d’origine, les couleurs ou la fantaisie de ceux qui les trouvèrent ou l’améliorèrent, se distingue la « reinette clochard » ; une pomme jaune à points rouges mure à partir de décembre et juteuse à souhait. Qui voudra une pomme précoce mais ne se gardant guère choisira la « blanche de juillet », un fruit jaune et pas très gros, très tendre sous la dent. Pour l’originalité : la « patte de loup », un fruit très parfumé originaire de Touraine, résistante au vent et portant souvent sur le côté une cicatrice que l’imagination assimila à une griffe de loup. Les vertus thérapeutiques de la pomme sont discutées, mais plus on mange de fruits, mieux on se porte. Ensuite, elle est riche en vitamine C, surtout quand on en consomme la peau. Et ce fruit a donné naissance au mot « pommade ».

De même, il ne surprendra personne que la biodiversité de la poire, une centaine identifiée en France, aille bien au delà des variétés offertes à la commercialisation classique. Le jardinier curieux pourra à la fois faire œuvre de conservateur et de gastronome en cultivant autre chose que les classiques : la poire curé, la bergamote d’été ou l’orpheline d’Enghien, par exemple. Et oublions la légende chrétienne de la pomme qu’Eve aurait croquée avant d’être virée du paradis. À son « époque », même en Mésopotamie où est censé se situer cet Eden, la pomme ( malum ) n’était encore qu’un minuscule fruit amer, dur et immangeable, entraînant de sérieux désordres gastriques et une courante n’ayant rien de paradisiaque. Et si l’église catholique a choisi la pomme comme symbole du pêché, c’est d’abord parce que les traducteurs ont confondu malum (la pomme) et malus (Satan). Les religieux d’avant le Moyen-âge ont même jeté l’opprobre sur une pomme, la calville, à cause de ses fesses (déjà citées) jugées lascives par les prêtres qui avaient énormément d’imagination…

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes
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