Loin d’Égypte

Transposition convaincante
d’une vaste fresque romanesque par
Jean-Louis Martinelli.

Gilles Costaz  • 6 octobre 2011 abonné·es

Il y a bien longtemps que le théâtre n’a plus peur de transposer de grandes fresques romanesques. Naguère, on faisait du digest. Depuis quelques années, on fait du théâtre-roman en jouant peu l’action et en faisant vibrer les mots récités. En s’emparant du livre d’Alaa El Aswany, Chicago (qu’il rebaptise J’aurais voulu être égyptien ), Jean-Louis Martinelli choisit une autre voie, qui paraît plus risquée : la séance de travail.

Plusieurs lieux sont esquissés sur le grand plateau : salle de conférence, salon, vestiaires, espaces vides. Les comédiens donnent l’impression de répéter. Ils jouent tantôt leur partition, tantôt la disent, passant de l’action à l’interprétation littéraire, ou bien croquent, vite fait, un personnage fugitif, un micro à la main ou sans micro. C’est du théâtre intermédiaire, pas fini et jamais fini.

Le roman d’Alaa El Aswany, paru en 2006, ne parle pas du Printemps arabe, mais il a de fortes résonances avec l’actualité. Il décrit la vie de jeunes Égyptiens qui font leurs études de médecine à Chicago dans les années 2000. L’Égypte en exil, privilégiée parce que ces femmes et ces hommes peuvent suivre des études supérieures, mais traversée par le mal du pays et menacée par la toute-puissance du régime de Moubarak, aux tentacules policières sans frontières.

Ces exilés, musulmans avec un copte parmi eux, se comprennent et se chamaillent, entrent ou n’entrent pas dans le dialogue avec les Américains…
Alaa El Aswany, se souvenant de sa propre expérience, observe une société moderne en train de naître dans la mixité et la douleur. Le pari de Martinelli, qui est de ­choisir un certain nombre de scènes et de suivre quelques destins pour ne pas s’épuiser dans une reconstitution globale, s’avère judicieux, et plus théâtral que bien des adaptations faites au carré.

Pris en main par des comédiens remarquables, Azize Kabouche, Mounir Margoum, Farida Rahouadj, Éric Caruso, Laurent Grévill, Sylvie Milhaud, Abbès Zahmani, Marie Denarnaud, ces moments de vie sociale et intérieure nous sautent au visage. Voilà un mitraillage délicat d’un bout de planète en ébullition, comme le théâtre en propose rarement.

Théâtre
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