Sartre sans caricature

Olivier Doubre  • 20 octobre 2011 abonné·es

On ne lit plus beaucoup Sartre aujourd’hui. En France, tout du moins. Depuis sa disparition, seules quelques biographies et surtout des analyses en forme de réquisitoire ont paru, souvent de la part d’anciens maoïstes repentis qui l’avaient côtoyé dans sa période de proximité avec la Gauche prolétarienne. Depuis le livre de Bernard-Henri Lévy, pas franchement hostile au philosophe mais qui pose pour point de départ que « l’idéal révolutionnaire est un idéal criminel et barbare » , à celui des époux Broyelle, passés du Grand Timonier à Valeurs actuelles…

L’un des apports de l’excellent livre de Ian H. Birchall, spécialiste britannique de littérature française, est d’abord de faire découvrir au lecteur français la vivacité des études sartriennes outre-Manche. L’auteur a choisi de retracer l’évolution politique (complexe) de l’auteur de la Nausée en se concentrant sur ses rapports avec la gauche critique et indépendante des grandes formations telles que le PCF et la SFIO.

Présentant d’emblée son travail comme une « défense politique de Sartre » , Ian H. Birchall ne passe cependant sous silence aucune erreur de jugement du philosophe et se refuse à toute complaisance vis-à-vis des revirements, rapprochements ou éloignements successifs, notamment avec le PCF ultra-stalinien de l’après-guerre et des années 1950 : « Sartre se contredisait souvent ; il n’est pas difficile de construire un réquisitoire contre lui. Rendre compte de manière juste et exhaustive de ses mérites comme de ses défauts est une entreprise autrement plus ardue. »

L’ouvrage fourmille ainsi de détails significatifs. Il retrace ses multiples échanges et « relations tumultueuses » avec les différentes obédiences trotskistes, avec Socialisme ou Barbarie, le PSU, les maoïstes et autres althussériens. Sans oublier la tentative – avortée – de rassembler la gauche critique avec la création du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), qui tenta entre 1948 et 1949 de se tenir à distance à la fois de l’URSS stalinienne et du camp du Pacte atlantique. Ian H. Birchall rappelle ainsi que Sartre, peu politisé dans les années 1930, est dès cette époque sensible aux positions de cette gauche anti-stalinienne, exhumant l’influence de personnages tels que Colette Audry, Pierre Naville ou Daniel Guérin.
Surtout, le livre – dont on regrette le titre français, « l’extrême gauche » définissant mal l’aire idéologique étudiée – montre avec brio comment Sartre a, notamment avec l’expérience du RDR, peu à peu « découvert la politique » et n’a cessé d’évoluer, loin de la caricature que l’on a souvent dressée de lui. Et Ian H. Birchall de souligner que, malgré ses fourvoiements et aveuglements, « Sartre défendait un modèle d’action politique bien supérieur à la passivité des postmodernes qui lui succédèrent. Ne serait-ce que pour cela, Sartre mérite d’être lu et relu » .

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Zinée : « Faire de la musique, c’est politique »
Entretien 9 juillet 2025 abonné·es

Zinée : « Faire de la musique, c’est politique »

En pleine préparation de son prochain projet musical, la rappeuse toulousaine essaye d’accepter les conséquences de sa maladie, l’endométriose, et assume de plus en plus ses engagements politiques.
Par Thomas Lefèvre
Marguerite Durand, itinéraire d’une frondeuse
Féminisme 9 juillet 2025 abonné·es

Marguerite Durand, itinéraire d’une frondeuse

Dans une passionnante biographie, Lucie Barette retrace la trajectoire de cette intellectuelle féministe avant-gardiste dont la lutte prend racine dans la presse, mais qu’il serait difficile de restreindre à cette seule activité tant sa vie fut riche et surprenante.
Par Guy Pichard
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef