Tous tentés par la TNT

Jean-Claude Renard  • 20 octobre 2011 abonné·es

Canal + et TF1 devraient finir par trouver un accord dans ce qui ressemble à une guerre de gros sous. Qu’on s’explique : un contrat de diffusion exclusive de LCI, filiale de TF1, par Canal via le satellite et Internet, lie Canal et TF1 depuis cinq ans. Ce contrat, qui impose à la première de reverser 15 millions d’euros à la seconde, expire en 2012. L’occasion pour la chaîne cryptée de revenir sur son engagement.

En guise de réponse, Nonce Paolini, PDG de TF1, a demandé au CSA le changement de modèle économique de LCI. En somme, passer à la TNT gratuite, et s’ajouter au marché de l’information, aux côtés d’i-Télé (filiale de Canal) et de BFM TV (propriété du groupe Next Radio TV).
De quoi déclencher l’ire d’Alain Weill, PDG de BFM, qui voit d’un mauvais œil la perspective d’une concurrence supplémentaire, avec des recettes publicitaires davantage réparties.

L’enjeu n’est pas la pluralité de l’information, gratuite ou payante, mais bien la recette pub. Dans son forcing auprès du CSA, Catherine Nayl, directrice de l’info à TF1, est même allée, à la stupéfaction des salariés de LCI, jusqu’à menacer de fermer la filiale (comptant 200 ­collaborateurs). Tandis qu’Éric Besson, ministre de l’Industrie, appuyait les suppliques du groupe Bouygues. In fine , Canal et TF 1 s’entendraient aujourd’hui pour une reconduction du contrat à 7 millions d’euros.

Ces tractations s’inscrivent dans une bataille de la TNT qui bat son plein. Au printemps dernier, Canal avançait l’idée de se doter d’une chaîne gratuite, Canal 20. En septembre, à la surprise générale, sous la houlette de Bertrand Meheut, son PDG, elle rachetait Direct 8 et Direct Star à Vincent Bolloré (au grand dam de l’ami élyséen).

Canal entre ainsi dans la danse de la télé privée gratuite, forte de trois chaînes (i-Télé, Direct 8 et Direct Star, sans renoncer à sa chaîne Canal 20), face aux groupes M6 (W9) et TF1 (TMC, LCI, NT1), et face aux indépendants que sont BFM TV et NRJ 12. Entre absorptions et rachats, la TNT se retrouve loin de la diversité du paysage annoncé par le CSA en 2005, et bien plutôt dans le théâtre féroce des concurrences entre puissants, en attendant la menace Internet, arrosant la toile de films et de séries.

Pas de hasard si M6 a réclamé, suivant l’exemple de TF1 avec LCI, un passage de sa chaîne Paris Première sur la TNT gratuite. L’audience n’est plus la même et excite les régies publicitaires. Toujours en réaction, NRJ Paris, chaîne réservée aux Parisiens sur la TNT, a revendiqué une diffusion sur l’ensemble de la France. Le journal l’Équipe, par la voix de François Morinière, son patron, postule également pour une chaîne sur la TNT.

Le 21 septembre, l’Autorité de la concurrence retirait à Canal l’autorisation de rachat de TPS (alliance TF1/M6 sur le satellite) accordée en 2006. Ce qui pourrait redistribuer les cartes.

L’emballement actuel répond également à une décision du gouvernement Villepin, qui accordait en 2007 pour 2012, aux groupes TF1, Canal et M6, une chaîne « compensatoire » pour les investissements consentis lors du lancement du numérique hertzien.

Seulement voilà : le 29 septembre dernier, la Commission européenne a jugé ces compensations « contraires au droit de l’Union européenne » . C’est ballot. Sous peine de poursuites, le gouvernement s’est vu dans l’obligation d’abroger le dispositif législatif, et de demander au CSA de lancer maintenant un appel à candidatures pour six nouvelles chaînes gratuites sur la TNT, prévues pour 2012. Les mêmes vont donc se bousculer au portillon (notamment M6, qui cherche à placer deux projets, Wiki TV et M6 famille, et TF1 pour TV Breizh).

Dans ce maelström, Michel Boyon, président du CSA, propose de sortir de la norme de diffusion DVB T1 sur la TNT pour adopter la norme DVB T2, qui permettrait de lancer plus de chaînes encore (8 au lieu de 6). Pas bête. À cela près que ce changement de norme impose encore un nouvel équipement. C’est oublier que les foyers viennent tout juste de s’équiper (nouveaux téléviseurs, adaptateurs au numérique terrestre).

C’est oublier aussi, pour quelqu’un visiblement éloigné de la réalité des consommateurs, que cette nouvelle technologie ne sera pas mise sur le marché avant 2014. C’est encore ballot.

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