Tunisie : « Ne pas sombrer dans l’hystérie »
Le parti islamiste Ennahda devrait sortir vainqueur du premier scrutin libre organisé en Tunisie ce dimanche pour élire la future Assemblée constituante. Kader Abderrahim, chercheur à l’Iris, salue le scrutin comme une « réussite historique » et dénonce les réactions européennes face au succès des islamistes.
Neuf mois après la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, les Tunisiens se sont rendus aux urnes dimanche 23 octobre pour élire une assemblée constituante. Les islamistes devraient s’imposer comme la première force politique, d’après les premières estimations. À quelques heures du résultat officiel attendu mardi, Kader Abderrahim, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du Maghreb, salue un scrutin historique et appelle l’Europe à ne pas tomber dans « l’hystérie ».
Le premier scrutin tunisien libre s’est-il déroulé de façon démocratique ?
Il n’y a pas eu d’incident notable et le taux de participation a dépassé tout ce que nous pouvions imaginer [90% d’après la commission électorale]. Ce scrutin était difficile à organiser, car des hommes de l’administration de l’ancien régime sont toujours en place. Des centaines d’observateurs, notamment européens, ont été déployés dans tout le pays pour s’assurer de son bon déroulement. Des problèmes pourront toujours apparaître ici ou là, mais c’est une réussite et surtout une grande première depuis l’indépendance de la Tunisie il y a 55 ans.
Ennahda, le parti islamiste, est en tête du scrutin, d’après les estimations. Beaucoup d’Européens ont exprimé des inquiétudes. Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas que la France et les Européens sombrent dans une hystérie qui consiste à dire que les islamistes sont des démons. Ce ne sont ni des anges, ni des démons : ce sont des professionnels de la politique, capables – comme tous les responsables politiques – de tenir un double discours et de faire des promesses. Mais il ne faut pas leur faire de procès d’intention. Il faut rester extrêmement mesuré. S’ils sortent vainqueurs [mardi 25 octobre], ce sera l’expression des Tunisiens. Il faudra la respecter et ne pas reproduire les erreurs du passé, notamment celles commises en Algérie.
Pendant 25 ans sous le régime Ben Ali et même sous [firstHeading<-]
Habib Bourguiba [chef de l’État tunisien de 1957 à 1987], les islamistes étaient le courant le plus réprimé par le pouvoir. Il faut aussi garder cela en mémoire.
Par ailleurs, les islamistes qui n’ont pas d’expérience de gouvernement ont clairement dit qu’ils ne voulaient pas gouverner seuls. Ils sont au contraire favorables à un gouvernement d’unité nationale.
Je pense aussi qu’il faut rappeler qu’historiquement, la France était une démocratie avant de devenir une République laïque. Il ne faut pas chercher à imposer des modèles tout faits. La Tunisie se trouve dans une autre ère culturelle et civilisationnelle. Il faut laisser le choix à la société tunisienne de suivre son propre chemin.
La gauche tunisienne peut-elle selon vous se rassembler pour parler d’une seule voix ?
Elle le devrait, malheureusement ce n’est pas ce que nous avons vu. J’ai été très choqué de voir que cette campagne a été entièrement axée contre Ennahda. Je pense en particulier au PDP [Parti démocratique progressiste], de Mr Cheddi. En politique, quand on n’a pas de convictions à défendre et qu’on ne fait qu’attaquer les autres, on a peu de chances d’être entendu par ses concitoyens. Pour être audible, le PDP doit élaborer un projet politique. Aujourd’hui, c’est un vide abyssal en termes de propositions.
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