La césure autonome

Marcello Tarì retrace l’histoire de l’Autonomie, mouvance italienne atypique des années 1970.

Olivier Doubre  • 17 novembre 2011 abonné·es

En septembre 1973, l’éditorial du n° 50 de Potere operaio [Pouvoir ouvrier], organe du groupe éponyme, annonçait dans le style militant de l’époque : « C’est ici le dernier numéro de Potere operaio. Le développement de la direction ouvrière des luttes a dissous les instances organisatrices des groupes. […] Nous avons refusé le groupe et sa logique pour être dans le mouvement réel, pour être dans l’Autonomie organisée. »

Formation née dans la foulée de 1968, dont les militants les plus célèbres sont Toni Negri, Oreste Scalzone ou Franco Piperno, Potere operaio vient de se fondre dans cette mouvance alors en voie de constitution qu’est l’Autonomie, encore souvent qualifiée par l’adjectif «  ouvrière  ». À la différence des groupes d’extrême gauche issus des luttes ouvrières et étudiantes de la fin des années 1960, structurés sur le modèle des organisations marxistes-léninistes, l’Autonomie va constituer une véritable «  césure  » dans ce que d’aucuns ont qualifié de « Mai long de dix ans » en Italie.

« On parlait à cette époque d’une aire (area), c’est-à-dire d’un espace aux limites incertaines […]. On peut penser que c’était le nom d’une façon de se rapporter au monde, ou celui de la codification stratégique de la circulation subversive entre tous ces collectifs, “centres sociaux” [squats autogérés], micro-organisations, bandes, radios libres qui essaimaient dans les villes, ou tant d’autres choses. »

C’est une des qualités du livre du chercheur italien indépendant Marcello Tarì que de dresser une présentation historique et théorique de cette expérience politique. Si de nombreux ouvrages sur l’Autonomie ont paru ces dernières années en Italie, très peu sont disponibles en France, où sa richesse inventive y est trop souvent oblitérée par le seul souvenir des Brigades rouges (pourtant étrangères à elle). Si nombre de militants de l’Autonomie passèrent effectivement, à la fin de la décennie, à la lutte armée, croyant l’heure venue de l’affrontement ou de la résistance à la répression qui s’abattit sur le mouvement tout entier, Marcello Tarì, sans nier un certain usage de la violence dans l’Autonomie, montre aussi la véritable contre-société qu’elle constitua, à Rome, Milan ou Turin, et dans les quartiers du lumpenproletariat méridional, à Naples ou en Calabre.

L’auteur décrit ainsi les multiples pratiques de luttes, rompant – autre césure – avec nombre de traditions du mouvement ouvrier : le refus du travail et de l’autorité de l’État mais aussi des grands syndicats dans les usines, socle commun pour les occupations de logements, les autoréductions collectives sur les factures d’électricité, les « expropriations prolétariennes » dans les supermarchés pour se nourrir, jusqu’à instituer des « zones homogènes » , territoires « où un véritable contre-pouvoir était à l’œuvre » .

Une forme d’utopie –  « ici et maintenant »  – que Lotta continua , groupe qui, pour une grande part, confluera à son tour dans l’Autonomie, résuma ainsi : « Prenons la ville ! »

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