La vie duraille des usagers

La refonte des horaires le 11 décembre, qui bouleverse la vie des voyageurs, prépare la privatisation de nombreuses lignes.

Thierry Brun  • 24 novembre 2011 abonné·es

Le pays serait-il tout à coup devenu rétif à un changement du service ferroviaire destiné à faire circuler « plus de trains, de façon plus régulière et plus lisible pour les voyageurs » , comme le soutient la SNCF ? Pétitions, lettres d’élus locaux venant des quatre coins de la France, création de collectifs d’usagers et de citoyens pour la défense d’une desserte, d’une gare… Le mécontentement monte dans la plupart des Régions à l’occasion d’une vaste refonte des horaires de milliers de trains, annoncée pour le 11 décembre.

À cette date, 85 % des horaires devraient changer. Une mesure qualifiée d’exceptionnelle par l’entreprise publique, qui la justifie par la rénovation du réseau ferré national. L’un des pires casse-tête concerne l’Île-de-France et ses Régions limitrophes, mais, en fait, la plupart des Régions verront leur réseau chamboulé. « C’est dramatique pour les abonnés de travail utilisant la ligne Toulouse-Montauban-Agen-Bordeaux » , lâche Emmanuelle Zaibak, assistante commerciale qui prend le train à Montauban tous les matins pour aller travailler à Agen. Coût mensuel de son abonnement : 100 euros par mois. « Je suis entièrement dépendante du train. La voiture est trop fatigante et trop chère pour parcourir quotidiennement 160 kilomètres entre mon domicile et mon travail. »

Devenue vice-présidente de l’Association des usagers Toulouse-Agen-Bordeaux (Autab), Emmanuelle Zaibak raconte que les « nouveaux horaires de train vont obliger les usagers à se lever bien plus tôt le matin, entre 4 h et 5 h en moyenne, pour rentrer le soir vers 21 h 30. Cela ne correspond plus aux horaires standards de prise de fonction dans les entreprises » .

Dans la plupart des Régions, gestionnaires des lignes régionales (TER, Transilien, etc.), des usagers, comme Emmanuelle, ont eu vent il y a quelques mois déjà du projet de nouveau « cadencement horaire » , dont l’objectif est de synchroniser les trains à horaires réguliers (voir page 25). Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF ont tenu de nombreuses réunions avec les conseils régionaux pour informer les usagers, souvent laissés de côté. « On n’a pas répondu à nos demandes. On nous a donné rendez-vous en septembre, et depuis, rien… » , désespère Emmanuelle Zaibak.

« Ces nouveaux horaires, notamment ceux des TER, ont été concoctés sans se préoccuper des contraintes et des possibilités des voyageurs, en particulier des jeunes scolarisés et des salariés » , constate l’Association des voyageurs usagers des chemins de fer (Avuc), qui a lancé récemment une pétition nationale contre cette refonte programmée des horaires de la SNCF, redoutant que le « big bang » annoncé ne se traduise par un « big bug » pour les usagers.

« Comment peut-on en arriver à une situation qui fait qu’au 11 décembre certains usagers se retrouveront dans l’impossibilité d’utiliser le train pour se rendre à leur travail, à leurs études ? » , s’interroge le collectif Gares du Val-de-Loire. Le tout nouveau collectif En train pays basque, créé à l’initiative de l’union locale CGT d’Hendaye et du mouvement altermondialiste basque Bizi, a découvert que l’ensemble de l’offre de TER a été entièrement repensé. Les correspondances « sautent par dizaines. Les usagers, contraints et forcés, n’auront pour seule solution que de prendre leur véhicule personnel, congestionnant un peu plus le réseau routier et rajoutant à la pollution par dégagement de gaz à effet de serre » .

Antoine Brawand, retraité habitant Louhans (Saône-et-Loire), ville de plus de 6 000 habitants, membre d’un collectif des usagers de la ligne de la Bresse, rappelle qu’en guise de cadencement horaire « deux trains sur les six qui desservent la ligne Dijon, Seurre, Louhans, Bourg-en-Bresse seront supprimés, et que la gare de Louhans est menacée… » . Or, Louhans « est en train de devenir un désert médical. Nous sommes obligés de prendre le train pour aller aux rendez-vous médicaux à Dijon » .

Coprésident du collectif Gares du Val-de-Loire, Farid Benhammou a lui aussi constaté « que les petites gares de la ligne Orléans-Tours n’étaient quasiment plus desservies, ou l’étaient à des horaires inintéressants » . Ainsi, lors d’une réunion destinée à présenter les nouveaux horaires, « les représentants de la SNCF, de RFF, de la préfecture, et le vice-président communiste en charge du transport à la Région Centre se sont pris une volée de bois vert des usagers ne pouvant plus se rendre à Paris en un temps décent, voyant leur train disparaître, ou le ramassage scolaire ferroviaire devenir impossible » .

Début novembre, la communication de la SNCF annonçait, quatre semaines avant le passage aux nouveaux horaires, qu’il restait moins de 25 cas difficiles : « Tous ces points, y compris les améliorations de ces dernières semaines, feront l’objet d’une attention particulière à partir du 11 décembre. » Mais le vent de fronde contre les nouveaux horaires n’est pas près de s’arrêter. La Région des Pays de la Loire a diffusé une publicité demandant au ministère des Transports et à la SNCF « de renoncer à certains changements d’horaires qui pénalisent le quotidien des voyageurs (salariés, lycéens, etc.) » . Pour la Région, « les usagers [sont] laissés à quai »

Dans la Région Centre, l’Association des maires ruraux de la Sarthe est montée au créneau : « C’est l’esprit même du “service au public” de la SNCF que l’on abat. Préparant la future concurrence à laquelle celle-ci sera bientôt confrontée, cette décision technocratique et financière signe ainsi la fin de l’engagement de la SNCF en faveur de l’aménagement du territoire, la fin de l’égalité des citoyens face au transport. Et, comme toujours, ce sont les zones rurales qui en pâtiront, les territoires les plus éloignés et les plus défavorisés. »

De nombreux collectifs d’usagers rejoignent cette analyse, telles l’Autab et l’Association Tarn-et-Garonne (TEG82), qui estiment que le nouveau cadencement horaire et la rénovation du réseau préparent « la mise en place d’un marché de sillons : les opérateurs ferroviaires comme la SNCF, Veolia Transdev ou la Deutsche Bahn [compagnie ferroviaire publique allemande] doivent acheter des sillons à Réseau ferré de France pour faire circuler des trains » . Pour Farid Benhammou, « il s’agit de laisser la place au fret privé et de prendre des sillons pour les ouvrir à la concurrence étrangère ». Or, les nombreux collectifs réclament un service public ferroviaire de qualité, surtout destiné aux usagers…

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Big Bang à la SNCF
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