Législatives au Maroc : « Pourquoi je ne vote pas »

Des élections législatives anticipées se déroulent ce 25 novembre au Maroc, faisant suite à la réforme de la constitution consentie par le roi Mohamed VI. Pour le blogueur marocain Hisham Almiraat, ce premier scrutin depuis le mouvement de révolte dit du « 20 février » n’est qu’une mascarade.

Matthieu Balu  • 25 novembre 2011
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Législatives au Maroc : « Pourquoi je ne vote pas »
© Photo de Une : ABDELHAK SENNA / AFP _ Photo portrait : DR

Politis.fr : pourquoi boycottez-vous le scrutin du 25 novembre ?

Illustration - Législatives au Maroc : « Pourquoi je ne vote pas »

Hisham Almiraat : D’abord, à cause du processus en lui-même. La constitution, malgré la réforme récente, laisse le roi aux commandes en tant que chef de l’exécutif, qui a tout pouvoir sur le gouvernement en place. Alors que les manifestants, ces jeunes qui sont dans la rue depuis le premier jour du mouvement, revendiquent avant tout une séparation des pouvoirs. Le roi reste, mais s’il reste, il ne gouverne pas. Or, sur le fond, rien n’a changé : il y a eu certaines avancées positives, comme l’inscription des droits de la femme dans la constitution, ou la reconnaissance de la langue Amazigh, mais c’est sans risque politique pour la monarchie.

Ensuite, le système électoral en lui-même est totalement biaisé : le découpage des circonscriptions date du roi Hassan II, et fait en sorte que l’on se retrouve avec un parlement totalement émasculé, avec de nombreuses petites formations politiques qui sont créés ou suscitées par le pouvoir. Le prochain Premier ministre, quel qu’il soit, va donc devoir composer avec ces formations dont la seule idéologie est leur allégeance au roi. On va se retrouver avec un gouvernement complètement paralysé, sans cohérence et sans audace. Les gens vont alors se rendre compte que rien ne change, et on ira vers une crise politique et constitutionnelle majeure, avec un Premier ministre coincé entre le peuple et son roi.

Il y a une dernière raison à mon abstention, peut-être la plus importante : je pense que les Marocains ne valent pas moins que les Tunisien, ou les citoyens de n’importe quel autre pays. Nous avons le droit d’exiger une démocratie réelle. On nous bassine depuis le milieu des années 1990 avec la transition démocratique, et cela fait quinze ans qu’on est dans cette fameuse transition ! Il est temps que nous ayons une véritable démocratie.

Les médias ont-ils raison de s’inquiéter d’une montée de l’islamisme ?

Avec tout le respect que j’ai pour la presse française, je ne peux pas m’empêcher de sourire en lisant des articles sur ce sujet. Il se dégage d’ici une sorte de phobie, qui fait mettre tous les islamistes, de Ben Laden à Erdogan, dans le même sac. En réalité, on ne peut pas honnêtement faire ce genre de raccourci. Il existe bien des partis chrétiens-démocrates en Europe, et je considère qu’un parti comme le PJD (Parti de la justice et du développement), ou comme Ennahda en Tunisie, ont certes des références conservatrices, mais ont aussi montré qu’ils étaient prêts à s’inscrire dans un jeu d’alternance démocratique avec la gauche. Si on veut être démocrate, il faut l’être jusqu’au bout, et respecter la volonté populaire, dans le cadre d’une démocratie d’alternance.

En ce qui concerne le Maroc, le danger de radicalisation fondamentaliste existe, mais je crois que les extrémistes n’ont jamais été aussi discrédités qu’aujourd’hui. Parce que ce vent de démocratie et de liberté porté par les jeunes du monde arabe est pour la première fois en train de porter un espoir. Les électeurs voient qu’il y a une alternative au fondamentalisme religieux pour améliorer les choses. Mais je le répète, on peut tout à fait avoir une démocratie dans laquelle on accepte des partis de gauche, de tendance libérale et occidentale, et des partis islamiques qui acceptent le jeu de la démocratie.

Le pouvoir vous apparaît-il comme incapable de se réformer ?

Pour comprendre la situation marocaine, il faut revenir à la racine des choses, c’est-à-dire l’argent. Jusqu’à présent, ce qu’on appelle le « Makhzen », c’est-à-dire le roi et l’entourage du roi, ne souhaite surtout pas le changement, parce qu’ils profitent de ce statu quo . Le roi et son entourage gèrent un grand nombre de business, et profitent de leur pouvoir pour s’accaparer l’économie. C’est extrêmement mauvais pour l’image du Maroc, cela empêche l’émergence de jeunes entrepreneurs. Mais ils veulent garder ces privilèges, qui leur permettent d’acheter la paix sociale : au moment des manifestations de février, on a augmenté le salaire des fonctionnaires et dépensé des sommes faramineuses pour soutenir les prix des biens de première nécessité, alors que le pays ne peut plus se le permettre : dans les mois à venir, l’Etat sera à sec.

Je crois profondément que le mouvement du 20 février est une chance pour la monarchie, mais elle n’a pas l’air de la saisir, et reproduit les mêmes erreurs que dans le passé. En mettant en place une monarchie parlementaire, le roi pourrait décider de sortir de la politique et préserver ainsi son prestige auprès de la population. Alors que demain, en voyant que l’Etat est incapable de les soutenir, les citoyens vont chercher un responsable. On risque alors de se retrouver avec des slogans beaucoup plus violents que lors du mouvement du 20 février, qui appelait à ce que la monarchie reste en place !

Politique
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